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ou six ans d’une armée nationale ont suffi pour y faire l’unité sous nos yeux. De son côté, la France n’a pris une homogénéité vraie que du jour où Provençaux et Normands, Alsaciens et Bretons, réunis dans les mêmes régimens, sous les mêmes drapeaux, ont formé la nation française. Rien de plus efficace, par conséquent, que les armées pour accomplir de pareilles fusions. Les initiateurs du mouvement unitaire de l’Allemagne pensent également avec raison que le casque à pointe et l’uniforme sont le meilleur moyen de discipliner tous les Allemands des différens pays et de les pénétrer de l’idée nationale. L’école et l’instruction populaires préparent l’œuvre d’unification. L’armée a pour mission d’achever cette tâche par l’effet d’une discipline commune. Instruction obligatoire, service militaire obligatoire, voilà les moyens de constituer une nation forte et bien unie. Autrement le gouvernement allemand n’aurait pas tenu à astreindre au service militaire et au programme scolaire officiel les enfans et les jeunes gens des provinces nouvellement conquises, afin de hâter leur prussification.

Prussifier et unifier sont tout un dans le mouvement dont nous sommes témoins depuis la proclamation de l’empire actuel. Par l’unification sous l’impulsion de la Prusse, l’Allemagne devient prussienne, la Prusse ne prend pas le caractère allemand. La constitution de l’empire, dérivée de l’organisation politique de la Prusse, a un caractère essentiellement militaire. Toutes les forces vives du pays, tous les ressorts de l’état, toutes les institutions concourent au même but, qui est de créer une armée aussi forte que possible. A l’exemple de l’administration prussienne, les services publics de tous les états particuliers de l’Union ont maintenant pour première obligation de pourvoir aux exigences du recrutement et d’une prompte mobilisation des troupes à chaque appel. Passez-vous dans un village, dans le moindre hameau de n’importe quel pays de l’empire, votre regard est attiré tout d’abord par une plaque indicatrice où vous lisez, au lieu de la distance des localités voisines, le numéro du bataillon de landwehr et celui de la compagnie dont font partie les hommes valides de l’endroit. Dès les premières années du rétablissement de l’empire allemand, un office spécial des chemins de fer a été institué à Berlin, dont relèvent, pour des raisons stratégiques, toutes les voies de communication des différens pays. Dans chaque district, les directeurs de cercle peuvent indiquer exactement au ministre de la guerre combien chaque commune peut, en cas de réquisition, fournir de provisions et de moyens de transport, tandis que, dans les lieux d’étapes, des entrepreneurs, engagés par des traités spéciaux et surveilles par l’administration, sont toujours prêts à nourrir d’heure en heure un nombre d’hommes déterminé,