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dans cette histoire, le bon Dieu lui-même est un whig modéré. Le style est clair, mais uniformément médiocre et quelque peu suranné. Çà et là, quelques innocens sarcasmes comme on s’en permet dans la bonne compagnie. Tel celui-ci : « Le peuple attend tout de son idole lorsqu’elle arrive au pouvoir, par exemple d’augmenter le revenu public en diminuant les impôts. » Ou encore celui-ci : « Swift avait accusé la duchesse de Somerset d’avoir les cheveux rouges et d’avoir fait mourir son premier mari. La seconde de ces accusations était mensongère, la première n’était que trop fondée. Or une femme pardonne plus malaisément une vérité désagréable sur sa personne qu’une accusation calomnieuse contre son caractère. » Ce qui domine, remplit, inspire tout l’ouvrage, c’est la joie naïve d’être Anglais, d’appartenir à la première nation du monde, tandis que d’autres, pauvres gens! naissent Français ou Allemands, Espagnols ou Italiens ; c’est une conviction sereine que la Providence arrange toute chose au mieux des intérêts britanniques, et que, jusqu’aux vices des rois, jusqu’aux sottises des ministres, jusqu’aux stupides entraînemens de la foule, tout doit, en fin de compte, porter un fruit, produire un progrès pour le peuple élu.

Si j’ajoute qu’à l’époque où écrivait Stanhope, ni le British-Museum, ni le Record-office, ni les Archives des grandes familles, ni les Archives continentales n’avaient encore livré la dixième partie de leurs secrets, on comprendra que M. Lecky pût légitimement se croire appelé à écrire une nouvelle histoire du XVIIIe siècle. En prenant pour lui et en racontant avec détail les menues intrigues ministérielles, les conspirations de cour et de parlement, les allées et venues des agens diplomatiques, les mouvemens des armées, la vie législative au jour le jour et les mille petits incidens sans portée et sans lendemain dont est faite l’existence nationale, Stanhope avait laissé d’avance à son successeur les larges perspectives historiques, et l’étude de ces grands courans d’opinion qui transforment les institutions et les mœurs. L’annaliste avait déblayé le terrain pour l’historien véritable.

Il est aisé de dire les causes qui nous ramènent toujours, nous autres Français, à l’étude curieuse et passionnée de notre XVIIIe siècle. C’est d’abord une raison d’esthétique, et bien des gens, qui ne s’en doutent guère, y sont très sensibles. Le XVIIIe siècle les intéresse, comme toute action dramatique bien conçue ; c’est une pièce suivant notre goût présent, une haute comédie qui se tourne en drame. Sur beaucoup, — Et j’avoue être de ceux-là, — ce siècle magique exerce un autre genre d’attrait : c’est, dans l’histoire de notre société, une heure délicieuse et qui ne sonnera pas deux fois; c’est le point culminant de notre langue et de notre race, le moment où la France a été le plus française. Enfin, pour le grand