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délicieusement terminée sur le doux reproche : Oh ! pourquoi s’en est-il allé ! Au théâtre, cet air semble seulement pris un peu vite. Plus lent, on lui trouverait peut-être encore plus de grâce et de mélancolie.

La rue maintenant, à Paris, sous les fenêtres de Laurence, éclairées par les lustres d’une fête. Jocelyn, caché dans l’ombre, pleure, et des jeunes gens franchissent en chantant le seuil de la maison. Jolie valse et surtout jolie gavotte dialoguée par les groupes d’invités. Il y a bien quelque chose d’un peu désagréable à voir un ecclésiastique faire le guet sous le balcon d’une dame ; mais, sauf ce petit malaise, on prend grand plaisir à toute la scène. Laurence paraît à la croisée entrouverte, et pour une fois qu’une femme vêtue de blanc s’accoude à son balcon sans redire la chanson de Marguerite, cela vaut bien qu’on s’en félicite. Laurence ne se souvient que d’elle-même et, d’une voix triste, elle redit son chant de la montagne. Jocelyn va courir vers elle ; mais une cloche tinte dans le voisinage. Alors, avec une belle phrase douloureuse il s’enfuit, tandis que reprennent dans la maison les refrains joyeux. Toute cette scène est excellente, pleine de mouvement et de poésie.

La scène suivante et dernière mérite qu’on pardonne beaucoup aux faiblesses signalées le long de l’ouvrage. C’est bien finir que de finir ainsi. Dans le hameau de Valneige, un matin de Fête-Dieu, la procession passe devant le reposoir. Pâle et défaillante, assise sur le seuil de sa chambre ouverte au soleil de printemps, Laurence mêle sa voix aux cantiques. Le chœur est simple, empreint d’une piété villageoise ; les plaintes de Laurence le coupent à propos avec de lointains rappels des mélodies d’autrefois ; bonne déclamation et bon orchestre ; peu de notes et beaucoup d’expression. — La procession a disparu, et la pauvre fille qui va mourir fait appeler le prêtre. Pendant qu’on le cherche, seule et les yeux déjà voilés, elle murmure une prière tout à fait belle. Voilà la musique que nous demandions au musicien de Jocelyn, la musique des sentimens, la musique où chante une âme, où se dessine un caractère. Voilà Laurence tout entière, par ses regrets et ses remords, avec son humilité de pécheresse, avec sa douceur de femme et sa détresse de mourante. Toute sa vie, sa pauvre vie, achève ici de se briser et s’exhale en une dernière demande de miséricorde et d’amour. Cette courte prière dit tout ce qu’il fallait dire : elle tremble, elle adore et elle supplie.

Le duo final renferme quelques mesures d’ensemble dont la banalité dépare un peu cet épilogue ; -on le voudrait sans tache. Mais la tâche est légère : chaque phrase de Laurence a l’accent le plus juste et le plus pénétrant. Laurence s’éteint sans cri, avec grâce et avec douceur, redisant toujours plus bas, toujours plus humblement : Seigneur, votre nom soit béni ! A la passion ranimée de Jocelyn, elle ne répond