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système, et il a raison. Quant à l’orchestration, elle ne nous a paru ni bonne ni mauvaise, seulement trop bruyante parfois, avec un goût immodéré des harpes.

Le premier tableau ne dépasse pas une moyenne agréable. Il pourrait avoir pour épigraphe ces deux vers :


De ma sœur et d’Ernest cette sainte journée
A, dans la main de Dieu, mêlé la destinée.


Heureusement, dans l’opéra, Ernest s’appelle l’Époux ; cela fait mieux. Sa phrase de remercîment aux invités est élégamment tournée. Le petit chœur de noce, le chœur des jeunes filles, petit aussi, tout cela ne déplaît point. Le duo de Jocelyn et de sa mère, l’air de Jocelyn, ne sont guère que convenables. Un air honnêtement fait, avec des rythmes et des tonalités variés, pâlit auprès du récit de Lamartine, auprès de cette dernière promenade, la nuit, dans l’enclos bien-aimé, de cet adieu poignant à la terre du jardin, aux eaux de la source, aux colombes du toit. Ici comme presque partout, les librettistes ont respecté les vers de Lamartine. Respect pieux pour le poète, mais dangereux pour le musicien.

Rien dans le second tableau : un faible prélude où flûtes, hautbois et autres instrumens champêtres gloussent en vain sans jeter sur l’orchestre une teinte vraiment pastorale. Aux paysages de Lamartine, il faudrait la musique de Rossini, un peu du premier acte de Guillaume. M. Godard leur consacre un chœur médiocre, plus un duetto de pâtres inférieur à la chanson de Sapho, qu’il rappelle : Broutez, broutez, mes chèvres ! Et puis, on sent ici le hors-d’œuvre et le superflu. Hors-d’œuvre, ce petit duo. Autrement nécessaire est dans le poème la scène du jeune homme et de la jeune fille, spectacle d’amour fait pour redoubler dans le cœur et les sens de Jocelyn les troubles et les désirs nés de la solitude. En résumé, toute cette partie de l’œuvre, y compris le massacre du vieux monsieur, ne renferme que des banalités musicales et dramatiques.

Mieux vaut le tableau suivant, au moins le début de ce tableau. L’entr’acte est beaucoup plus alpestre que le précèdent. Les larges accords tenus et balancés donnent la sensation de grands souffles, de grandes vagues de vent, tranquilles et fortes, qui passeraient sans obstacles au-dessus des sommets. Cette belle page d’orchestre en rappelle un peu une autre que naguère nous avions trouvée belle aussi : la Cathédrale, de la Symphonie légendaire. Le réveil de Laurence est encore à noter : deux strophes courtes, vibrantes, avec une certaine étrangeté, une sorte d’effarement qui ne messied pas. Mais maintenant, là où l’on était en droit de compter le plus sur lui, le musicien