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Souvent aussi, il envoie des expéditions pour soumettre des insoumis. En 1882, craignant que quelque puissance européenne ne s’établit sur la côte occidentale du Maroc, il voulut prouver que tout le Sahel lui appartenait. Il fit une campagne dans le Sous, et, profitant d’une année de famine, il décida par ses libéralités les tribus comprises entre l’Oued-Sous et l’Oued-Dra à reconnaître sa suprématie ; il obtint, à force de présens, que leurs cheiks acceptassent le titre de gouverneurs. Quelques mois plus tard, toutes ces tribus s’étaient soulevées. Les populations africaines ressemblent à ces gaz que les chimistes ont toutes les peines du monde à réduire à l’état liquide. Qu’on se relâche un instant dans le traitement qu’on leur fait subir ou qu’on néglige une précaution, le gaz redevient gaz, et le volatil Arabe ou l’indocile Berbère redeviennent des nomades réfractaires à toute autorité, incapables de concevoir le bonheur sans la liberté et la liberté sans l’anarchie.

Il n’y a dans le soi-disant empire marocain, où se parlent deux langues, l’arabe et le tamazirt, ni unité de gouvernement ni unité de races, et, d’après les informations toutes nouvelles recueillies par M. de Foucauld, il règne parmi les tribus de la même race une singulière variété de mœurs et d’usages. Ici, la tribu demeure indivise ; là, on se partage en districts, en cantons ou on s’agrège en communes. Dans. les massifs du grand et du moyen Atlas, dans les bassins de l’Oued-Dra et de l’Oued-Ziz, on aperçoit partout de vrais castels féodaux, bâtis en pisé, flanqués de tours aux quatre angles. Ces châteaux, nommés tirremts, sont des magasins fortifiés où le village serre ses grains ; un local particulier y est réservé à chaque habitant, qui en a la clé. Ailleurs, plus de châteaux : le magasin commun est un village, appelé agadir, où la tribu rassemble ses récoltes et les met à l’abri des pillards.

Les institutions politiques varient comme les coutumes sociales. Au nord de l’Atlas, chaque tribu fait son ménage à part, et on y vit sous un régime de démocratie absolue. Quelques-unes ont des kanouns ou codes de lois ; d’autres n’en ont pas. Les unes comme les autres se gouvernent par des assemblées où chaque famille a son représentant. Point de pouvoir exécutif, et au surplus l’assemblée souveraine ne s’occupe que des affaires générales, laissant les particuliers libres de régler leurs différends à coups de fusil. Dans cette région, la politique se réduit à l’art d’organiser l’anarchie. Au sud du Grand-Atlas, telle tribu est règle par des cheiks héréditaires, mais ces dictateurs ne sont pas exigeans ; leurs administrés ne sont tenus que de les accompagner à la guerre, de leur payer une légère redevance et ne pas trop se piller entre eux : pour tout le reste, ils font ce qui leur plaît. D’autres tribus, comme celles du nord, tiennent des assemblées, mais elles confient le pouvoir exécutif à un cheik électif et révocable, nommé quelquefois pour un an. Quelques-unes se groupent en