Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps partie du conseil sanitaire du Maroc, prétend que, si la beauté de la juive marocaine a été surfaite, on ne peut trop louer son intelligence, son esprit des affaires, son attachement à ses devoirs domestiques, la grâce avec laquelle elle exerce l’hospitalité[1]. A vrai dire, ce médecin n’a jamais visité le blad-es-siba ni approché de Sahara, et il faut convenir que l’Afrique, la véritable Afrique, fait subir à toutes les religions qu’on y importe d’étranges déformations. Nous savons par les récits des voyageurs ce qu’est devenu le christianisme en Abyssinie, ce que devient Mahomet dans le Soudan. La religion naturelle de l’Afrique est le fétichisme, et elle ne se laisse convertir à un Dieu étranger qu’à la condition qu’il se laisse convenir lui-même en un grand fétiche.

Par sa patience à toute épreuve, par son opiniâtre persévérance, M. de Foucauld réussit à exécuter jusqu’au bout le plan d’aventureuse odyssée qu’il avait conçu. Débarqué à Tanger le 20 juin 1883, il est allé à Fez ; de Fez, il a gagné le Tadla, atteint l’Oued-el-Abid et Demnat, franchi le Grand-Atlas par un col encore inexploré. Voyageant ainsi du nord au midi, il atteignait dès le 14 novembre Tisint et le 30e degré de latitude, et il voyait se dérouler devant lui, au sud du Bani, « une plaine brûlée, sans autre végétation que quelques gommiers rabougris, ni d’autres reliefs que d’étroites chaînes de collines rocheuses, s’y tordant comme des tronçons de serpens, plaine immense, tantôt blanche, tantôt brune, étendant à perte de vue ses solitudes pierreuses, que bornait à l’horizon le talus de la rive gauche du Dra, qui la sépare du ciel par une raie d’azur. » Les nuits du Sahara l’enchantèrent comme une féerie : « On comprend, nous dit-il, dans le recueillement de nuits semblables, cette croyance des Arabes à une nuit mystérieuse dans laquelle le ciel s’entr’ouvre, les anges descendent sur la terre, les eaux de la mer deviennent douces, et tout ce qu’il y a d’inanimé dans la nature s’incline pour adorer son Créateur. » Ce fut à Tisint aussi qu’il fit connaissance avec des femmes aux grands yeux mobiles et expressifs, à la taille souple, à la physionomie ouverte et rieuse. Leur caractère distinctif est d’avoir le visage d’une blancheur extrême et le corps bleu. Elles portent des habits en cotonnade indigo qui déteignent, et se lavant quelquefois la figure, elles ne se lavent jamais le corps.

Sa bourse ayant été épuisée par les rançonneurs et les larrons, M. de Foucauld dut se rendre à la côte et à Mogador, pour se procurer de l’argent. Il écrivit en France et attendit quarante-cinq jours la réponse. Il était de retour à Tisint le 31 mars 1884, et cheminant du sud-ouest au nord-est, il regagna la frontière algérienne en franchissant une seconde fois le Grand-Atlas et en explorant le cours de

  1. La Mujer marroqui, estudio social, por D. Felipe Olivo y Canales. Madrid, 1881.