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Les eaux qui ne tarissent pas sont plus abondantes dans le Maroc qu’en Algérie et dans la Régence. Si on y voit trop souvent des montagnes nues, des steppes désolées, de mornes solitudes, des pentes pierreuses où ne poussent que le palmier nain et le triste jujubier sauvage ; des villes ruinées, des maisons qui tombent, des pans de murs croulans, on y découvre sans peine de riches cultures, des cantons où le moindre coin de terre est ensemencé, des champs suspendus à des sommets qui semblent inaccessibles, et des lieux de délices, tels que les jardins de Sfrou, « jardins immenses et merveilleux, grands bois touffus dont le feuillage épais répand sur la terre une ombre impénétrable ; où toutes les branches sont chargées de fruits, où le sol toujours vert ruisselle de sources innombrables. »

Mais ce qui attire le voyageur sérieux au Maroc, c’est moins la beauté des sites que la difficulté de l’entreprise, le mystère qui enveloppe encore ce pays et l’espoir que, par son labeur, il enrichira la science de nouvelles découvertes. Comme le remarquait M. Henri Duveyrier dans une des séances générales de la Société de géographie de Paris, c’est en 1845 que, par les soins de M. Renou, a été donnée la première carte générale du Maroc, et jusqu’en 1883 on n’avait fait de géographie astronomique que sur une vingtaine de points dans l’intérieur de l’empire. Sur vingt et un auteurs d’itinéraires, seize étaient des Français. C’est encore un jeune officier français, M. le vicomte de Foucauld, qui, voyageant à ses frais, sans subvention, est parvenu, en onze mois, à doubler la longueur des itinéraires soigneusement levés et à déterminer quarante-cinq ; longitudes, trois mille altitudes.

En traversant les régions explorées avant lui, M. de Foucauld a rectifié les erreurs de ses devanciers, et il en a visité d’autres où personne ne s’était encore hasardé. Il a établi le premier que le large massif de l’Atlas marocain se compose de cinq chaînes parallèles, courant du sud-ouest au nord-est et laissant entre elles des rigoles : au nord, le Moyen-Atlas, flanqué d’une chaîne secondaire ; au centre, le Grand-Atlas, dont les cimes neigeuses donnent naissance à la plupart des fleuves du Maroc ; au sud, le Petit-Atlas, où se forment des rivières ; plus au sud encore, le Bani, d’où ne sortent que de petits cours d’eau. Mais en même temps qu’il reconnaissait les lieux, les montagnes, les vallées et les plaines, M. de Foucauld étudiait avec autant de soin et avec un rare discernement les populations, l’animal humain, ses mœurs, ses habitudes, ses coutumes. Le jour où la Société de géographie lai a décerné une médaille d’or, le rapporteur a pu dire sans exagération : « Sacrifiant bien autre chose que ses aises, ayant fait et tenu jusqu’au bout bien plus qu’un vœu de pauvreté et de misère, ayant renoncé pendant près d’un an aux égards qui sont l’apanage de son grade dans l’armée, il nous avait conquis des renseignemens très nombreux, très précis, qui renouvellent littéralement