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cela pourra toujours durer, et si l’on parle d’engins perfectionnés propres à prendre beaucoup de poisson et qui en feront baisser le prix, il se voit d’avance a réduit, — c’est le dire du pays, — à manger du foin. » Il est simpliste et ne saisit que l’effet immédiat des choses. Vous ne lui ferez jamais comprendre que le nombre de mille vendus pourra compenser l’abaissement du prix du mille ; que, s’il gagne un peu moins, sa femme, sa fille, employées à l’usine, ont de meilleurs salaires ; que l’abondance du poisson, quelque prix qu’on le paie, est forcément la richesse, tout au moins l’avenir assuré ; qu’à l’acheter trop cher les usiniers se ruinent ; et que, s’ils fabriquent, au contraire, de grandes quantités de conserves, les transactions, les transports vont subir le contrecoup de cette activité, la petite ville va prospérer, le bien-être augmenter pour tous, même pour le pêcheur, étonné à la fin d’avoir fait une si bonne année quand le poisson se vendait pour rien.

Depuis huit ou dix ans, un certain nombre de pêcheurs, plus avisés que les autres, se servaient de seines à sardines, de ces filets qu’on est bien forcé d’appeler perfectionnés, supérieurs de beaucoup à l’ancien filet. C’est exclusivement avec des seines qu’on pêche en Portugal et que s’alimentent les usines dont la concurrence devient si redoutable pour notre commerce. En France, elles furent adoptées d’abord à Douarnenez, puis on les avait faites plus petites, on les avait rendues plus pratiques, et alors, depuis deux ans, elles s’étaient rapidement propagées à Audierne, à Saint-Guenolé, au Guilvinec, jusqu’à Quimper. Les premières seines, très grandes, étaient des engins coûteux. Ceux qui n’en avaient point s’inquiétèrent ; il y eut quelques désordres. Le gouvernement, pour donner raison dans une certaine mesure aux réclamans, interdit les seines dans la baie de Douarnenez et dans la baie d’Audierne du 1er janvier au 15 octobre. Il les autorisait seulement à la veille de l’époque où la sardine quitte nos côtes. On allait avoir beau jeu à dire que ce sont les seines qui la mettent en fuite. Ou n’y manqua pas. Les mauvaises années aidant, les plaintes recommencèrent de plus belle ; mais, surtout depuis quelques mois, il s’était formé une sorte de parti dans nos ports de pêche, même à Douarnenez, répétant, criant qu’avec les seines on prenait trop de poisson et qu’on allait le détruire, en tout cas avilir les prix. Au fond, cette dernière raison était seule la vraie et trop facile à exploiter dans l’esprit d’une population incapable de raisonnement. En dehors du monde des pêcheurs, plus d’un, qui aurait pu sans doute conjurer le mal, prêta à leurs récriminations une oreille trop complaisante, et, loin de calmer des craintes imaginaires, ne fit qu’aggraver la situation en paraissant les partager. Les esprits s’échauffèrent, et l’on pouvait redouter de