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clos où l’homme armé de ses engins a tout l’avantage et peut faire toutes les exterminations qu’il veut, pourvu que l’être vivant auquel il s’attaque ait une certaine taille relative. Autrement, il est impuissant. Cela se voit bien dans la lutte avec l’insecte, « l’infini ailé, » comme l’appelle Michelet.

Mais l’océan ! cinq fois plus grand que la terre solide en superficie, l’océan est continu, sans limites, sans bornes ; et, de plus, il a la profondeur où le regard même ne peut suivre aucun animal. On ne dépeuple pas l’océan, pas plus d’ailleurs qu’on ne le féconde, comme l’avait cru un instant Coste, bien vite revenu de ses premières illusions ; comme on semble aujourd’hui le croire en Angleterre, où, dit-on, de nouveaux essais de pisciculture marine vont être tentés, dont l’échec est certain. On ne peuple pas, on ne dépeuple pas la mer. Toutefois, il faut ici faire une distinction, selon qu’il s’agit d’espèces pélagiques ou d’animaux vivant à la côte, sur le sol submergé, comme le turbot, la barbue et surtout le homard ou la langouste. Tous ces animaux, dans le premier âge, errent à l’aventure, sont pélagiques ; on peut les rencontrer jusqu’au milieu des océans. Plus tard seulement, ils deviennent en quelque sorte des animaux terrestres, ne quittant plus le sable et la roche, au fond des eaux. Et comme on ne les chasse que sur une bande étroite de littoral, ils sont un peu soumis, dans cette aire restreinte, à la même loi que les animaux du continent. Où l’homme les poursuit sans relâche, ils diminuent. Il n’y a pas quarante ans que les pêcheurs de la côte de Bretagne faisaient fi du homard, ne le mangeaient pas ; et quand les premiers navires homardiers vinrent d’Angleterre s’enquérir s’ils en trouveraient à acheter, l’étonnement fut grand : on se demanda ce que les Anglais pouvaient bien faire de ces bêtes inutiles. Les homards alors vivaient parmi les rochers du rivage. Aujourd’hui, c’est par cinquante brasses qu’il faut aller poser les casiers qui les prennent. Cela veut-il dire que l’espèce soit détruite ou même ait sensiblement diminué en nombre ? Nullement. Elle a été un peu refoulée, voilà tout. Elle est devenue plus rare sur la bande de côte où on la prend, mais au-delà, sur des espaces mille et cent mille fois plus grands, il y a toujours, il y aura toujours autant de homards. De même on a pu chasser du voisinage des côtes les grands cétacés. Ils ont d’abord contre eux leur taille. En outre, forcés sans cesse de revenir à la surface de la mer pour respirer, leur rencontre est fatale avec le baleinier armé de son harpon. Ce sont, dès lors, presque les conditions de la chasse aux grands fauves sur le continent, et l’œuvre d’extermination s’achèverait vite si la mer n’était si vaste. Déjà les petits cétacés, le marsouin, le dauphin, bénéficient de leur taille moindre et ne paraissent guère diminuer, malgré le carnage qu’on en fait. Les phoques