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ou Granville. Vous ne verrez point à Concarneau, à Douarnenez, ces femmes de pêcheurs au visage bronzé qui interrogent la mer comme une connaissance à elles, et qui savent découvrir à l’extrême horizon le lougre où est leur « homme. » Dans les ports de Bretagne, la femme du marin s’inquiète peu du dehors, on ne la voit pas sur le quai ; c’est tout simplement une ouvrière. La petite ville, elle-même, est une cité industrielle où la vie semble intermittente. Pendant que les barques sont à la pêche, c’est le repos. On voit aux portes des fabriques de conserves, des groupes de filles et de femmes qui causent, tricotent, attendent. Derrière le mur de l’usine bien enfermée, on travaille seulement dans l’atelier silencieux des ferblantiers, qui mettent la dernière soudure. On n’entend que le bruit cadencé des boîtes de fer-blanc qui tombent toutes faites de la machine à estamper.

C’est la fin d’une chaude journée d’été. Dans l’azur du ciel, de légers nuages, comme déchirés, annoncent que le vent a tourné avec le soleil couchant, signe de beau temps. La brise est faible : les barques arrivent lentement en masse plus serrée à mesure qu’elles approchent du port. La pêche a-t-elle été bonne ? On le dirait, car les haveneaux sont dressés à l’arrière en signe d’abondance. Les acheteurs sont au quai et regardent. Les marchés se débattent à voix basse et presque en mystère. Un étranger ne se douterait pas que des affaires considérables se traitent. C’est dit : on est convenu de tel prix du mille, car le mille de sardines est l’unité commerciale. Le poisson va être compté, lavé, mis par lots de deux cents dans des paniers et transporté à l’usine. Tant mieux s’il est de taille moyenne : gros, il en va trop peu dans les boites, et le consommateur n’est pas satisfait ; petit, les frais de manipulation augmentent, les ouvrières étant payées au mille, et c’est le fabricant qui se plaint. Ah ! il n’est pas besoin de courir aux nouvelles et de descendre au port pour savoir si la pêche a donné. Le bruit de la rue, les allées et venues continuelles l’indiquent assez. Le roulement des voitures, le trot des chevaux, tout jusqu’à la bonne mine des gens, trahit la fortune de passage qui vient de sourire à tous. Et la ville va rester bruyante. Le pêcheur n’a pas ici la sagesse des rudes marins du nord. Les cabarets chanteraient toute la nuit, si les règlemens municipaux n’y mettaient ordre. Les usines chantent aussi, mais là c’est le travail et la veille qui font les voix hautes. Car tant qu’il y aura du poisson, les femmes vont fatiguer : point de repos jusqu’à ce que tout soit en boites.

La sardine est d’abord étêtée. On se sert pour cela d’un couteau de bois ; c’est un tour de main à prendre, qui coupe à la fois la tête et enlève les intestins. On lave ensuite le poisson et on le dispose sur des claies de fil de fer où il sèche un peu. Ces claies reprises