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politiciens eussent volontiers tranché toutes ces questions par une évacuation radicale des pays acquis, si les guet-apens de Bac-Lé et de Hué, la débandade… de Lang-Son, n’eussent mis en question l’honneur du drapeau.

En résumé, ce n’est pas à une direction habile et résolue que nous devons nos nouvelles conquêtes : elles sont le produit de morts retentissantes, comme celle du commandant Rivière, et de paniques comme celle de Lang-Son. Nous avons eu la main forcée, et pourtant combien on en a voulu à ceux qui ont cherché hors de France une extension du territoire pour compenser, en quelque sorte, la séparation douloureuse de nos belles provinces d’Alsace et de Lorraine ! Peut-être étaient-ils dans leur tort, ces partisans d’une extension coloniale ; mais il faut reconnaître que, s’ils ont vu leurs idées triompher, on ne saurait les accuser d’avoir suscité les tragiques événemens qui ont rendu obligatoire la continuation d’une guerre au Tonkin.

Et maintenant qu’une très petite portion de l’armée de terre et de mer n’a plus à exercer au dehors qu’une facile mission de surveillance, le moment est venu de consolider ce qui paraît acquis. On m’assure qu’il se crée en ce moment, à Paris, des banques et des sociétés industrielles ayant de grands projets d’exploitation. C’est pour le mieux, et chacun doit désirer que les sommes considérables qui vont être mises à la disposition d’habiles spéculateurs aident à guérir notre commerce de la pléthore dont il souffre depuis tant d’années. Mais ne serait-ce pas édifier sur le sable, vouer ces essais à une ruine certaine, si nos conquêtes ne présentaient qu’une sécurité éphémère ? Ne sent-on pas qu’il est indispensable de nous attacher les populations de nos nouvelles possessions, aussi bien par l’intérêt que par l’esprit et le cœur ? Comment y parvenir ? Quel moyen employer ? Par la douceur et la patience, ou par un régime de terreur, de compression ou d’expulsion comme celui qu’emploie l’Allemagne dans les provinces que nous avons perdues ? Nul, en France, n’oserait préconiser ces odieux abus de la force.

L’objet de cette étude sera donc de rechercher le système par lequel nous pourrons nous faire aimer des populations tout à coup devenues françaises, ou récemment placées sous notre protectorat, et comment il sera possible d’allier la sécurité de ces acquisitions nouvelles au plus grand développement de leur bien-être.


I

Il est deux systèmes qui peuvent conduire au but désiré. Le premier consiste à créer dans nos colonies des collèges où la