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costumes, les hommes eux-mêmes. La plupart d’entre eux ont peine à soutenir leurs rôles d’apparat ; chez presque tous, l’homme naturel reparaît sous l’acteur en scène. Ils s’entretiennent à voix basse des petits intérêts du moment, des préséances, des croix, des pensions, des charges qu’on va donner ou retirer, de toutes les intrigues qui agitent une cour à l’ouverture de ces vastes successions. Le peuple qui attend aux portes avec de vrais sanglots, de vraies prières, une vraie stupeur devant ce grand effondrement, s’il pouvait saisir le murmure discret des conversations dans l’église, il serait surpris de voir à nu ces cœurs où il ne suppose que des méditations magnifiques ; il y découvrirait les soucis vulgaires, les jalousies d’atelier, les distractions banales qui occupent d’habitude sa propre existence, toutes les menues convoitises et l’affairement vide d’une pensée d’artisan.

Malgré tout, l’heure, le lieu et la cérémonie sont augustes. Pour en retrouver la grandeur, il ne faut que s’élever dans les ombres supérieures de la nef, à la hauteur où n’arrive plus le murmure d’en bas, où parviennent seules les plaintes de l’orgue et les paroles sacrées de l’officiant. Contemplée à distance, dans le recueillement de là-haut, la foule qui entoure ce cercueil change d’apparence, d’âme et de siècle ; les figurans revêtus de ces costumes historiques reçoivent indifféremment d’autres noms. Ce sont les pairs de Guillaume, convoqués pour l’accueillir dans l’empire où les barrières du temps n’existent plus : tous, les Césars ses prédécesseurs, Charlemagne, Othon, Barberousse, Frédéric de Souabe, Rodolphe de Hapsbourg, Sigismond de Bohême, Charles Quint ; les margraves de Brandebourg, depuis Albert l’Ours ; les Hohenzollern, depuis Joachim, le premier de la race qui disputa à Charles d’Espagne le titre suprême, ayant lu dans les astres que la couronne royale et la plus haute dignité de la chrétienté appartiendraient à un chef de la maison de Brandebourg ; les vasseaux du ban impérial, tout ce qu’on peut lever entre l’Escaut et le Danube d’électeurs, de ducs et de comtes palatins ; le conseil aulique, les Diètes, les Hanses, les milices, les Porte-glaives, tout ce qui a droit de paraître au sacre et aux obsèques de l’empereur romain, dans les dômes d’Aix-la-Chapelle ou de Prague, de Ratisbonne ou de Francfort ; tous les soldats fameux qui ont guerroyé sous l’aigle double et foulé le monde avant celui-ci ; enfin toute l’Allemagne de l’histoire et de la légende, tous les héros qui ont incarné aux heures mémorables ses forces, ses ambitions, son génie, toutes les âmes fondues dans l’âme de la statue nationale que ces bras inertes dressaient naguère sur le coteau du Niederwald. — Vision, dira-t-on ; non, réalité. C’en était une pour l’agonisant, quand il appelait ce cortège à la fête de la