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les adulations qu’elle soulève. Les hommes en tiendront compte dans leurs jugemens sur Guillaume Ier.

À cette heure, les jugemens des hommes lui sont indifférens. Leurs éloges valent pour lui juste autant que ces ordres brillans, épingles sur la tunique du mort, autant que les cires qui fondent et les fleurs qui meurent sur le cercueil. L’empereur est devant son Dieu. Il rencontre des témoins à charge, nombreux, redoutables. Il y aurait présomption impie à vouloir deviner la sentence du seul juge qui ait le droit d’en porter une. Espérons, pour le comparant d’hier comme pour chacun de nous, que l’homme est jugé par le Dieu auquel il a cru. Ce qui ne signifie pas qu’il y en ait plusieurs. Il n’y en a qu’un ; mais étant l’intelligence infinie, il se manifeste sous des aspects aussi divers que DOS besoins, il se mesure à la portée de nos vues ; étant la justice et la mansuétude infinies, il ne peut demander compte à une âme que de la manifestation qu’elle a connue.


VI

« J’ai eu un rêve… C’était la dernière fête à la cathédrale… » Pour emplir cette église, les palais de l’Europe se sont vidés : depuis une semaine, de chaque train qui se hâtait vers Berlin, des familles royales descendaient. L’heure est venue : cloches, orgues, canons, toutes les voix appellent pour la Mort. Mais sa maison est petite, elle n’y admet que des hôtes de choix : les rois d’abord, les héritiers des plus lourdes couronnes, la foule des princes. Derrière eux, tout ce qui est assez qualifié dans l’Allemagne pour approcher le catafalque ; l’armée enfin, tout ce qu’on a pu faire entrer des états-majors, les vétérans des grandes guerres, les compagnons d’armes et les élèves du défunt. Chacun a revêtu son uniforme et pris son poste de parade, au rang marqué par le grade : c’est la dernière revue que passera le vieil empereur. Une seule place est vide, la première, celle du fils, de l’empereur régnant ; et l’on ne sait quelle est la plus funèbre, de la place vide ou de celle occupée par le mort. A ses pieds, les conseillers de la couronne lui présentent les insignes de son pouvoir : le diadème, le sceptre, le globe, les sceaux, les chaînes d’Ordres, l’épée, la bannière. Ces jouets d’opéra seraient risibles devant une bière, si le temps n’avait ennobli leur vanité ; des siècles d’histoire ont mis un sens profond dans leur symbolique puérile ; ce sont des idées vivantes, les idées sur lesquelles repose l’empire. Si l’on n’abstrait pas ces idées, si l’on n’atteint pas la vision spirituelle derrière les emblèmes, tout ici n’est qu’une figuration d’opéra : les simulacres accessoires, les