Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de saluer ce dernier plus gravement encore, dût la main trembler en serrant plus fort la poignée de l’épée qu’elle abaisse. Nos pères faisaient ainsi ; ils n’en valaient pas moins pour la guerre. Gardons leurs mœurs courtoises ; elles n’enlèveront rien à l’espoir de nos fils.

Ne contraignons pas notre pitié pour l’infortune inouïe qui succède à tant de gloire. La mort a fait pour un jour la trêve de Dieu. Elle ne semble pas satisfaite de sa grande prise, elle en tient une autre à la gorge. Hommes, envoyons une parole humaine à cet homme qui lutte si virilement contre elle. Il a l’ambition de montrer, ne fût-ce qu’un instant, les hautes qualités de son esprit et de son cœur. Souhaitons que cet instant se prolonge. Il faut l’espérer, dit-on, pour la paix du monde ; il faut le désirer surtout pour son édification ; dans la paix ou dans la guerre, un pareil exemple de force morale est parfaitement beau et bon à considérer. Puisse Frédéric III vivre des jours assez longs pour voir que rien n’est « imprescriptible » devant la justice et la bonté divines, ni la condamnation d’un homme, ni celle d’un peuple !

Inclinons-nous enfin devant les femmes mêlées à ces douleurs ; un ressentiment français expirera toujours avant d’arriver jusqu’à leurs pieds. Aucune d’elles ne l’a d’ailleurs encouru : ni l’épouse qui défend avec tant de vaillance la vie menacée de son mari ; ni l’auguste veuve qui est restée sacrée pour tous les survivans des mauvais jours : sa charité a secouru avec une sorte de passion nos prisonniers, nos malades ; celui qui écrit ces lignes en a ressenti personnellement les effets ; il adresse à cette noble femme l’humble hommage de sa gratitude.

On ne pouvait parler du deuil allemand sans avoir payé d’abord ce tribut de respect et de compassion. Feu l’empereur avait dit des nôtres, on sait en quelle circonstance : « Oh ! les braves gens ! » — C’est bien le moins que nous disions aujourd’hui des siens : « Oh ! les pauvres gens ! »

Ce devoir accompli, regardons librement. La Mort met beaucoup de sens dans ces fêtes lugubres qu’elle se donne à elle-même. Mieux que la vie, cette sage institutrice évoque parfois sur son tableau noir, dans une projection lumineuse, des visions pleines d’enseignemens. Elle excelle à montrer en un rapide éclair la physionomie cachée d’un peuple, d’un moment de l’histoire. Le moyen âge l’avait bien compris, et il lui confiait le soin de résumer sa philosophie des choses. Sachons voir comme lui. Pour présider au drame de Berlin, celle qui mène les rondes macabres est sortie des cimetières d’Allemagne, où les peintres d’autrefois l’avaient enfermée ;