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De là, la demande faite au gouvernement havaïen de la cession de l’embouchure de la rivière de la Perle. Il ne s’agissait, il est vrai, que d’y établir un dépôt de vivres et de charbon, un bassin de radoub pour les bâtimens à vapeur qui relâchaient ara iles, mais c’était le premier pas vers une occupation ultérieure, un droit de préemption dans l’avenir.

Le calme rétabli à Honolulu, les chambres, convoquées, écartèrent l’offre d’entrer en pourparlers, et le couronnement du nouveau souverain ne donna lieu à aucun incident.

Kaméhaméha V avait laissé, en mourant, son royaume dans une situation prospère : la dette publique presque éteinte, le crédit de l’état excellent, les recettes du trésor en progression constante. Le court règne de Lunaulo n’avait en rien modifié cet état de choses. Héritier de cette situation qu’il n’avait pas créée, ébloui de sa fortune rapide et du heureux hasard qui l’appelait à un rang auquel il ne pouvait prétendre par droit de naissance, jeune et inexpérimenté, David Kalakaua rêva, lui aussi, de laisser dans l’histoire de son pays un nom glorieux et d’attacher ce nom à de grandes entreprises destinées à accroître la prospérité publique. Il appela près de lui, en qualité de premier ministre, M. Walter-Murray Gibson, homme habile, intelligent, que j’ai connu aux îles dans des circonstances singulières, et dont la vie a été jusqu’à sa fin, survenue en janvier 1888, un tissu d’aventures romanesques. Il faut aller au fond de l’Océanie pour rencontrer des types aussi étranges et des existences aussi bizarres.

Né en mer, à bord d’un bâtiment espagnol, de parens américains, Gibson fut élevé en Angleterre. Jeune homme, il conçut des doutes sur son origine et sa descendance. À bord du bâtiment où il avait vu le jour et à la même époque était né un autre enfant, fils d’un gentilhomme anglais de haute naissance et de grande fortune. Par une coïncidence singulière, à l’âge de dix-huit ans, Walter Murray Gibson, invité dans un château de l’ouest de l’Angleterre, frappa ses hôtes par son étonnante ressemblance avec le portrait du maître de cette habitation, mort depuis quelques années. Il se trouva que ce gentilhomme était le père de l’enfant né en même temps que lui à bord du même navire et mort en bas âge. La ressemblance était telle que l’on se demandait s’il n’y avait pas eu substitution d’enfant. Les recherches faites par Gibson et les témoignages recueillis par lui ne lui laissèrent aucun doute sur le fait ; mais les collatéraux, héritiers du titre et du nom, repoussèrent ses prétentions, que sa situation de fortune ne lui permit pas de soutenir jusqu’au bout.

D’humeur aventureuse, il quitta alors l’Angleterre et se rendit aux