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Ils s’étaient fait construire une demeure sous un roc, abritée du soleil, et qui dominait la grande mer. Un jeune chef de la tribu aimait, lui aussi, Kaikilani, mais elle détournait la tête quand il passait. Un matin, il monta sur le roc et, se penchant au-dessus, adressa à la jeune femme les paroles suivantes : « O Kaikilani, celui qui t’aime te salue ! Aime l’un, fuis l’autre. Celui qui te parle te sera toujours fidèle. » Lono, entendant ces paroles artificieuses, en proie à la jalousie, tua Kaikilani. Torturé de remords, il transporta ensuite dans un heiiau (temple) le corps de celle qu’il aimait ; il pleura et il gémit. Il parcourut ensuite Havaï, provoquant à la lutte et au combat les vaillans qu’il rencontrait. Le peuple, étonné, disait : « Lono est-il fou ? » Et Lono répondait : « Mon grand amour me rend fou. » Ayant institué des jeux et des sacrifices en l’honneur de celle qu’il aimait toujours, il s’embarqua dans une pirogue à voile triangulaire pour se rendre dans des pays inconnus. Avant son départ, il prophétisa à son peuple et dit : « Ne pleurez point ; je reviendrai, un jour, sur une île flottante. Vous ne me verrez plus, mais les petits-enfans de vos petits-enfans reverront la face de Lono. »

Quand, bien des années plus tard, les îles flottantes du capitaine Cook parurent en vue d’Havaï, les Kanaques n’avaient pas oublié la prédiction de Lono, et sur l’ordre de Kalaimano, leur chef, rendirent à Cook les honneurs divins. Du chant relatif aux événemens qui suivirent, nous détacherons le fragment qui relate la mort du grand navigateur :

« Au matin, Lono débarqua sur la plage, et, ainsi que Kalaimano l’avait commandé, nous lui rendîmes hommage ; mais, soit que, dans son dédain pour nous, Lono affectât de ne pas nous comprendre, soit que sa longue absence lui eût fait oublier notre langage, il ne répondit à aucune de nos supplications et de nos prières. Bien des jours s’écoulèrent ainsi ; les pirogues du dieu nous étaient tabou, et aucun de nous ne les avait visitées.

« Un matin, les serviteurs de la suite de Lono vinrent vers nous et s’emparèrent des poissons sacrés déposés sur l’autel de Pelé, bien que, pour les empêcher de commettre ce sacrilège, nous leur eussions offert ce qui restait de notre pêche. Kalaimano était présent ; il ne dit rien, mais la colère assombrit son visage. Un autre jour, ils revinrent et commencèrent à détruire la barrière du moraï (lieu consacré), laquelle était faite de troncs de haos et d’orangers, et à les traîner vers la mer, soit pour les jeter à l’eau, soit pour en charger leurs pirogues[1]. Lono n’était pas avec eux.

  1. Il est fait mention de ce fait dans le récit anglais. Les matelots, au moment du départ, avaient ordre de faire du bois, et ils prenaient celui de l’enceinte du moraï, plus sec et déjà coupé.