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de Honolulu, capitale du royaume havaïen. Enfouie sous son épais abri de verdure, la ville s’étend dans la plaine, refluant au long d’une large vallée, occupant un espace considérable. Au premier aspect, on lui donnerait un nombre d’habitans double ou triple de celui qu’elle possède et qui n’atteint pas 20, 000. Le port, large et spacieux, pourvu d’excellens quais, parfaitement aménagé, est peut-être le plus sûr et le mieux abrité de toute l’Océanie. Une ceinture de rochers de corail le protège contre les vents de sud et d’ouest. C’est l’escale obligée de tous les navires qui fréquentent ces mers, leur port de ravitaillement, l’unique entrepôt de charbon des vapeurs qui s’y croisent, en route pour San-Francisco, l’Australie, la Chine et le Japon. C’est aussi la clé de l’Océan-Pacifique du nord, le point stratégique entre l’Amérique et l’Asie.

Honolulu eut des fortunes diverses. Si Havaï fut le berceau de la dynastie, de bonne heure Honolulu dut à son port, à sa situation au centre même de l’archipel, d’être la capitale du royaume fondé par Kaméhaméha Ier.

C’était un chef sauvage, mais un sauvage de génie, guerrier intrépide, politique habile, administrateur et conquérant, parfois cruel et rusé, souvent noble et généreux. En lui s’incarnaient les qualités et les défauts de cette race kanaque dont nous avons étudié les migrations successives et qui peuple ces archipels océaniens. Il fut le type achevé de sa race, le représentant du maximum d’intelligence qu’elle comportait, des vices et des vertus de son sang, de son temps et de son milieu. En lui comme en ses successeurs, ces vices et ces vertus atteignent leur point culminant ; ils se précisent et s’accentuent dans l’exercice d’un pouvoir sans limites mais en prenant plus de relief ils restent tels qu’on les peut constatera des degrés moindres chez ses congénères de l’Océan-Pacifique. En lui et en eux se résume tout un peuple, car l’homogénéité de race est complète, absolue, entre le Kanaque de Tahiti, de la Nouvelle-Calédonie, des Sandwich : mêmes instincts héréditaires, mêmes penchans, mêmes superstitions. Nous verrons dans Kaméhaméha IV et dans Kaméhaméha V les altérations que le contact avec les blancs, les enseignemens de l’évangile, les voyages en Europe et l’étude de notre civilisation ont imprimées au type primitif ; ils l’ont développé sans le changer, ils l’ont modifié sans rien oblitérer des traits caractéristiques.

Ce n’est guère qu’à dater de l’arrivée de Cook aux îles que l’histoire se substitue à la légende. Chez ce peuple ignorant de l’écriture, les chants transmis de génération en génération perpétuaient seuls le souvenir des événemens passés. Il était d’usage alors de choisir dans chaque famille de chef une jeune fille à laquelle on