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Appliquons ces principes à la psychophysiologie, tous les nuages qui obscurcissent la question s’évanouiront. Le rôle de la psychologie physiologique n’est pas d’établir l’existence de l’âme ; c’est le rôle de la psychologie pure et de la métaphysique. Comment pourrait-on trouver l’âme, la personnalité, la liberté dans l’étude des organes ? Les intérêts de l’âme seraient donc très mal placés entre les mains de la psychophysiologie. C’est à d’autres mains que ces intérêts sont confiés. Bien plus, en touchant à ces questions supérieures, elle pourrait nuire aux intérêts mêmes de la cause qu’elle prétendrait servir. Rappelons l’exemple déjà cité de Flourens, qui avait cru trouver un argument triomphant contre le matérialisme en établissant que le cerveau est un organe simple et non multiple, l’unité du cerveau lui paraissant la preuve et la garantie de l’unité du moi. Si l’argument de Flourens eût été bon, le spiritualisme se trouverait aujourd’hui condamné par son propre aveu, puisqu’il paraît bien certain que le cerveau n’est pas un organe simple, mais un organe composé. Flourens, en se préoccupant outre mesure des intérêts de l’âme, qui ne le regardaient pas, nous a donc compromis au lieu de nous servir.

Cette sorte d’indépendance est généralement admise pour toutes les autres sciences qui sont reconnues et dont l’existence date de loin. Par exemple, on n’exige pas de l’économie politique qu’elle établisse le principe du devoir, ou de l’histoire qu’elle prouve l’existence de la Providence. Il y a ou il n’y a point une Providence, mais l’historien n’en sait rien ; il y a ou il n’y a pas un principe du devoir ; mais l’économiste, en tant qu’économiste, n’en sait rien. On considère même quelquefois comme coupables les doctrines qui font intervenir la morale en économie politique, par exemple les doctrines socialistes, qui veulent imposer le dévouaient et la fraternité aux transactions économiques. On reconnaît que la concurrence est une loi cruelle, mais on ne veut pas qu’économiquement on introduise une loi de charité qui corrigerait cette loi ; c’est là le fait de la morale, non de l’économie politique. C’est par ces distinctions précises que l’économie politique a réussi à se constituer comme science ; et cette indépendance n’est pas seulement utile à l’économie politique, elle l’est à la morale elle-même, qui n’a nul intérêt à voir son principe propre plus ou moins mêlé et confondu au principe propre de l’économie politique, à savoir l’utilité, comme il l’est dans l’opinion vulgaire, pour laquelle l’honnête homme est aussi bien celui qui a fait fortune par son économie et sa prudence que celui qui renonce à la fortune par modération ou par sacrifice.

Il en est de même de l’histoire par rapport à la théodicée. A coup