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physique doit se communiquer, dans une certaine mesure, au moral. Cependant il faut ici beaucoup de précaution dans l’interprétation des faits, car la loi de l’hérédité se trouve en concurrence avec une autre loi de la psychologie, à savoir la loi d’imitation ou de contagion par l’exemple. Dans le phénomène étrange, par exemple, qu’on appelle la folie à deux, la folie et la même folie se transmet d’une personne à une autre par contagion et non par hérédité. Sans doute, s’il s’agit de la mère et de la fille, on pourrait soutenir que l’hérédité joue un rôle ; mais s’il s’agit de deux sœurs, il ne peut plus en être question. Il faudrait donc discuter les faits sur lesquels s’appuie la thèse de l’hérédité psychologique, choisir ceux où l’on pourrait dégager les deux élémens l’un de l’autre. Nous avons nous-même proposé à M. Ribot l’exemple suivant : Bussy-Rabutin faisant le portrait de M. de Chantal, le père de Mme de Sévigné, le décrit ainsi : « Il était extrêmement enjoué. Il y avait un tour à tout ce qu’il disait qui réjouissait les gens ; mais ce n’était pas seulement par là qu’il plaisait, c’était encore par l’air et par la grâce dont il disait les choses : tout jouait en lui. » Ne croiriez-vous pas lire le portrait de Mme de Sévigné ? Et cependant elle n’avait pas connu ou avait à peine connu son père, mort lorsqu’elle avait cinq ans, et elle avait été élevée par ses grands parens maternels. Il semble donc que, dans cet exemple, la similitude tient à l’hérédité plus qu’à l’éducation.

Un autre bel exemple d’hérédité intellectuelle et morale est celui que l’on pourrait tirer de l’histoire généalogique de George Sand. Génie, esprit, passion, romanesque dans l’imagination et dans la vie, rencontre de grands seigneurs et de comédiennes, du grand monde et du monde de la fantaisie et de la liberté, voilà ce qu’on trouve dans cette généalogie ; et Mme Sand elle-même nous donne l’histoire de sa vie comme une preuve en faveur de la thèse de l’hérédité[1]. Toute cette histoire commence par un drame tragique que Mme Sand a omis de raconter, je ne sais pourquoi, au début de ses Mémoires. Dans les premières années du XVIIIe siècle, on trouva un matin, dans le parc de l’électeur de Hanovre, un beau jeu ne homme assassiné. C’était le chevalier de Kœnigsmarck, soupçonné d’avoir été l’amant de l’électrice, et mis à mort, sans doute, par l’ordre du mari, depuis George Ier, roi d’Angleterre. Le jeune seigneur

  1. « Donc le sang des rois se trouva mêlé dans mes veines au sang des pauvres et des petits ; et comme ce qu’on appelle la fatalité, c’est le caractère de l’individu ; comme le caractère de l’individu, c’est son organisation ; comme l’organisation de chacun de nous est le résultat d’un mélange de races et la continuation toujours modifiée d’une suite de types s’enchaînant les uns aux autres, j’en ai toujours conclu que l’hérédité naturelle, celle du corps et de l’âme, établissait une solidarité assez importante entre chacun de nous et ses ancêtres. » (Histoire de ma vie, t. I, ch. II.)