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la méthode expérimentale, il crut avoir prouvé, par l’ablation et la mutilation du cerveau chez les pigeons, que le cerveau est un, comme l’âme elle-même, que le cerveau tout entier perçoit, tout entier raisonne, et que toutes les facultés intellectuelles paraissent et disparaissent en même temps. Cependant lui-même avait ouvert la voie aux localisations, en distinguant l’encéphale du cerveau, en montrant que l’encéphale se compose d’organes ayant des fonctions propres (cervelet, bulbe, protubérance, etc.), et de plus en localisant l’entendement dans le cerveau et la sensibilité dans la moelle épinière, croyant ici encore venir en aide à la philosophie spiritualiste, en distinguant, contre Condillac, la sensation et la pensée.

Mais, depuis Flourens, la théorie des localisations est devenue beaucoup plus précise. Non-seulement les fonctions motrices et leurs différens troubles ont pu, avec une précision toute nouvelle, être localisées dans telle ou telle partie de la moelle et du cerveau[1] ; mais même les facultés intellectuelles ont commencé à donner lieu à leur tour à des tentatives de localisation. Par exemple, tout semble bien indiquer que le siège des facultés intellectuelles, proprement dites, n’est pas le cerveau tout entier, mais cette partie du cerveau que l’on appelle substance grise ou substance corticale, à savoir la partie périphérique des hémisphères cérébraux, composés, comme on le sait, de deux substances, l’une blanche, l’autre grise. Mais c’est surtout dans la théorie des sièges du langage que l’on croit avoir établi, d’une manière certaine et éclatante, la pluralité des organes cérébraux et la diversité de leurs fonctions. C’est à Broca que l’on doit cette remarquable découverte. On reconnaît, depuis lui, que la perte du langage ou aphasie est due à une lésion de la partie postérieure de la troisième circonvolution frontale gauche du cerveau. De nombreux cas pathologiques ont d’abord suggéré et ensuite servi à vérifier cette hypothèse. Mais la doctrine de Broca eut des conséquences inattendues. On découvrit depuis lui, par l’union combinée de l’observation clinique et de l’anatomie pathologique, que le langage n’a pas seulement un siège, mais qu’il en a quatre différens, suivant qu’il s’agit de la parole, de la lecture, de l’écriture et de l’audition. Un homme perd la faculté de parler : c’est l’aphasie proprement dite ou aphémie ; il perd la faculté d’écrire sans perdre celle de parler : c’est l’agraphie. Il perd la faculté de lire sans perdre les deux premières, c’est ce qu’on appelle, avec plus ou moins de propriété, la cécité verbale ; il perd enfin la faculté de comprendre ou de reconnaître les mots entendus, et c’est ce qu’on appelle la surdité

  1. voir Charcot : Des localisations dans les maladies du cerveau, 1875. — Ferrier, la Localisation des maladies cérébrales (1880).