Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malebranche est également de notre temps lorsqu’il parle de la contagion des imaginations fortes ; il semble avoir deviné toute la théorie récente de la suggestion ; et son explication de la sorcellerie n’a pas été dépassée pour la profondeur et l’indépendance des vues par nos docteurs de la Salpêtrière : « Un pasteur, dans sa bergerie, raconte après souper à sa femme et à ses enfans les aventures du sabbat. Son éloquence naturelle, jointe à la disposition où est toute sa famille, doit produire d’étranges traces dans des imaginations faibles, et il n’est pas naturellement possible qu’une femme et des enfans ne demeurent effrayés et convaincus. C’est un mari, c’est un père qui parle… Ils se frottent de certaines drogues dans ce dessein (d’aller au sabbat) ; cette disposition de leur cœur échauffe leur imagination, et les traces que le pâtre avait formées dans leur cerveau s’ouvrent assez pour leur faire juger dans le sommeil comme présens tous les mouvemens de la cérémonie dont il leur avait fait la description. Ils se lèvent, ils s’entre-demandent et s’entre-disent ce qu’ils ont vu. Ils se fortifient les traces de leurs visions, et celui qui a l’imagination la plus forte, persuadant mieux que les autres, nu manque pas de régler en peu de mots l’histoire imaginaire du sabbat. Voilà des sorciers achevés. »

Au XVIIIe siècle, la psychologie physiologique se développe avec Ch. Bonnet (de Genève) et David Hartley. L’un et l’autre essaient de rattacher les opérations intellectuelles, non plus, comme Descartes, au mouvement des esprits animaux, mais aux vibrations nerveuses et cérébrales, le premier en s’appuyant sur une théorie sensualiste toute semblable à celle Condillac, le second sur une théorie nouvelle que l’on appellera plus tard l’associationisme, et dont David Hume avait été le promoteur. Ces deux philosophes pourraient être considérés comme les vrais organisateurs de la psychophysiologie, si le défaut de précision dans leurs connaissances physiologiques n’était beaucoup de valeur à leurs théories. Entre ces philosophes et les physiologistes contemporains, une haute place dans le même ordre d’études doit être assignée à Cabanis pour son remarquable ouvrage des Rapports du physique et du moral. Cet ouvrage n’est guère connu que par deux ou trois propositions assez grossières d’un matérialisme enfantin, doctrine que, du reste, l’auteur a répudiée plus tard dans sa célèbre Lettre à Fauriel. Mais il y a dans son livre bien autre chose que ces propositions. Les vues de Descartes et de Bonnet étaient toutes théoriques ; c’étaient au fond de pures hypothèses. Le livre de Cabanis fit entrer la psychophysiologie dans la voie de l’observation positive et de l’expérience médicale. Même philosophiquement, le livre de Cabanis a une sérieuse valeur. On ne sait pas assez qu’il est des premiers qui aient signalé ce qu’il y avait d’artificiel et d’incomplet dans la théorie de