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la confiance dans la grandeur de l’Allemagne, ne dément pas les présages pacifiques. Malheureusement, il reste toujours un doute qui tient à la maladie du nouveau souverain. Celui qui s’appelle aujourd’hui Frédéric III vivra-t-il assez pour marquer son passage dans les affaires du monde? Aura-t-il fatalement avant peu un successeur plus jeune, plus impétueux, dont l’inexpérience même ne laisse pas d’être une énigme? De toute façon, au surplus, que Frédéric III soit destiné à vivre quelque temps ou qu’il doive suivre bientôt son vieux père, la vraie, la grave question reste entière ; il s’agit de savoir ce qui résultera pour l’Allemagne de cette transition, de ces troubles de règne, quelle sera l’influence de la mort de Guillaume sur la politique et les relations de l’empire, sur tous les pays allemands.

Ce n’est point sans doute que des changemens immédiats soient vraisemblables. Ce qui existait hier existe aujourd’hui et existera demain. L’appareil constitutionnel de l’empire subsiste tout entier. La politique, les alliances de l’Allemagne restent ce qu’elles étaient. M. de Bismarck n’est probablement pas destiné à disparaître de sitôt comme son vieux maître ou à prendre sa retraite à Varzin, et tant qu’il sera vivant, tant qu’il sera au pouvoir, il restera le garant de son œuvre. Non, rien n’est changé et ne changera sans doute pour le moment. Ce serait peut-être pourtant une singulière méprise de croire que la disparition de l’empereur Guillaume, de celui qui a fait l’empire, qui en a été jusqu’ici « l’incarnation, » selon le mot du chancelier, puisse être sans conséquence dans les affaires allemandes. Le vieux souverain, populaire en Prusse, respecté dans tous les états, était l’objet d’une déférence personnelle qui devenait un gage de stabilité. Quelle que soit toujours la puissance du gouvernement de Berlin, il y a des impatiences libérales, des mouvemens croissans d’opinion auxquels il sera difficile de mettre un frein; il y a dans certaines parties de l’Allemagne des velléités, non pas de scission ou de séparation, mais d’autonomie, d’indépendance plus libre, avec lesquelles on peut être obligé de compter. D’un autre côté, on ne se méprendrait pas moins sans doute si on croyait que la politique extérieure elle-même ne pourra pas se ressentir un jour ou l’autre de cette crise de règne. La paix demeurât-elle le principe, l’objet essentiel de la politique allemande, et c’est provisoirement vraisemblable, il peut y avoir des froissemens, des hésitations dans les alliances, parce qu’il y a des intérêts différens, comme il peut y avoir à Berlin des vues ou des préférences nouvelles; mais, dans les affaires extérieures comme dans les affaires intérieures, les changemens, s’ils se produisent, ne peuvent être que l’œuvre du temps, des circonstances; ils dépendent de la marche incessante des choses, de la situation générale de l’Europe, qui peut toujours se modifier, de l’imprévu, des incidens qui peuvent naître à tout instant.