Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Frédéric-Guillaume IV, mort à l’aube de 1861. Le nouveau souverain avait soixante-trois ans. C’est alors que commence réellement ce règne, qui allait précipiter les destinées de la Prusse, de l’Allemagne et de l’Europe.

Était-ce un prince absolutiste et réactionnaire qui arrivait au gouvernement, comme auraient pu le faire supposer ses opinions d’autrefois? Était-ce un prince libéral qui allait régner, comme auraient pu le laisser croire ses liaisons plus récentes? Ce n’était ni l’un ni l’autre. Le prince Guillaume, régent ou roi, était simplement un Prussien, animé de l’esprit des Hohenzollern, portant au pouvoir des instincts vagues d’ambition traditionnelle et quelques idées arrêtées. Il rêvait certainement un rôle agrandi, prépondérant pour son pays, et il sentait bien que la Prusse, pour remplir ses destinées, aurait à se dégager des liens d’une confédération contraire à ses desseins, qu’elle aurait à vider un jour ou l’autre la querelle avec l’Autriche. Il gardait le souvenir amer d’Olmütz, et s’il avait toujours la haine nationale contre la France, la première ennemie, il voyait aussi dans l’Autriche l’autre ennemie. Il avait dans plus d’une occasion laissé percer ses ressentimens contre la puissance qui restait le principal obstacle à la grandeur de la Prusse. D’un autre côté, dans sa carrière de soldat, dans ses divers commandemens, il avait remarqué avec sagacité tout ce qui manquait à l’armée prussienne, devenue un instrument vieilli, et il voulait avant tout refaire l’organisation de cette armée, rajeunir « l’instrument, «comme il l’a avoué depuis. C’était tout son programme le jour où il avait pris possession de la régence. Son premier mot était pour les « conquêtes morales » que devait poursuivre la Prusse, et pour les « réformes militaires » qu’il fallait immédiatement accomplir, qui exigeaient « une politique calme et de l’argent. » Que signifiait ce mot de « conquêtes morales? » On ne le savait pas encore; l’expression était assez flexible ou assez équivoque pour déguiser au besoin les conquêtes matérielles. C’est pour suivre cette politique que le nouveau souverain appelait, dès 1862, à la présidence du conseil, M. de Bismarck, comme il avait appelé, dès les premiers jours de la régence, le général de Roon au ministère de la guerre et M. de Moltke à la direction de l’état-major de l’armée. C’est pour réaliser cette pensée fixe, obstinée, que le prince Guillaume, devenu roi, ne craignait pas d’engager une lutte de quatre années contre son parlement, contre ses anciens amis les libéraux qui lui refusaient son budget militaire. Vainement on dissolvait le parlement, les électeurs renvoyaient à Berlin les mêmes députés, le gouvernement montrait la même obstination, continuant son œuvre comme si le parlement n’eût pas existé, opposant à tout les droits de la couronne. Les députés ne voyaient que le goût du pays pour la paix, l’inutilité de dépenses démesurées qui ressemblaient à un caprice, qui ne faisaient qu’aggraver