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vais vous renvoyer la voiture. — La Baronne : c’est cela. À demain, alors ? — Le Baron : À demain… Ah ! non, demain c’est jeudi, je chasse chez les Champclos et je pars de très bonne heure. — La Baronne : À après-demain, alors. Enfin, à un de ces jours. — Cervières, au baron : Je m’en vais avec vous, attendez-moi. — La Baronne, bas à Cervières : Vous vous en allez aussi ? — Cervières, de même : Il m’a demandé de l’accompagner. — La Baronne : Ah ! très bien. Quand vous reverrai-je ? — Cervières : Demain… Oh ! non, demain, je vais à la chasse avec lui. C’était convenu, vous savez. — La Baronne : Parfaitement. À après-demain, alors. Enfin, à un de ces jours. — Cervières : Nous reviendrons vendredi dans la journée. — La Baronne, à part : Ils aiment mieux être ensemble. Eh bien ! maintenant, je crois que j’aime autant ça aussi… » Hé ! hé ! sommes-nous encore dans une principauté chimérique ?

Dans cette pernicieuse atmosphère de serre chaude, voici une plante saine et de plein vent ; au milieu de ce monde, qui se tient hors de la nature et se met au-dessus de la loi, voici une femme selon le vœu de la nature et de la loi, Séverine de Birac, dite la princesse Georges. L’auteur, dans la préface, désigne ainsi le personnage et son rôle : « Une Âme qui se débat au milieu d’instincts. » Les « Instincts » dont il s’agit sont au moins des instincts corrompus, — mais ne soulevons pas une querelle de mots ; disons plutôt que cette sommaire étiquette, imposée après coup à l’héroïne, lui fait tort d’une partie de son être, et non de la moins active. « Ils avaient pris deux appartemens ? » demande Séverine à sa femme de chambre, qui lui raconte que son mari et Mme de Terremonde sont descendus hier soir au même hôtel : est-ce « l’Âme » toute seule qui parle ?.. Séverine, un peu plus loin, ouvrant son cœur à sa mère, s’explique sans fausse honte : « Le jour où j’ai déclaré devant Dieu, devant les hommes et devant ma conscience, que je prenais un homme pour époux, je me donnais tout entière à cet homme, corps et âme… » Corps et âme ! entendez-vous ? Elle n’est ni ange ni bête : « Je ne suis ni un ange ni une courtisane, je suis une femme, et je veux rester femme avec tous mes devoirs, mais avec tous mes droits. » Elle y fait allusion, à ces droits, lorsqu’elle dit à l’infidèle : « Il y a des souvenirs et des espérances qu’une femme de ma sorte ne saurait effacer tout à coup de sa vie. » Elle y revient, elle insiste une dernière fois sur ce point dans la grande scène où, par complaisance pour l’auteur, qui est philosophe, elle interroge « la loi » et « la famille » sur les secours qu’elles peuvent offrir à l’épouse trahie : « Mais le dernier des animaux vit de sa vie pleine, il a des petits, il les couve, il les allaite, il les protège, il les aime, et toi, créature de Dieu, pour laquelle un Dieu est mort, tu n’auras pas ce que la nature