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à une heure, à deux heures, sa rencontre avec le premier de ses adversaires, qui a pour témoins les deux autres, et ses fières excuses : « M. Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de valeur à votre créance, monsieur Porthos, et rend la vôtre à peu près nulle, monsieur Aramis !.. Je ferai donc banqueroute à l’un de vous, à deux peut-être... Voilà de quoi je m’excusais... » Et puis, l’intervention des gardes du cardinal ; et, pour que les partis soient égaux, notre homme se rangeant du côté de ses adversaires contre les intrus: « Ah! bah!.. j’ai le cœur mousquetaire !.. » Oh ! le beau combat!.. Et, bientôt après, chez d’Artagnan, l’amusante matinée ! Sa délibération avec son valet, «monsieur Flanchet, » devant le garde-manger vide; son projet d’aller déjeuner chez Aramis;.. mais voici une lettre d’Aramis, pareillement dépourvu et affamé, qui s’invite et s’annonce!.. Chez Porthos, alors;., même lettre de Porthos ! Chez Athos;.. troisième billet, troisième contre-temps ! Sur ces entrefaites, le maître surprend le valet qui se régale d’une cuisse de volaille et d’un rouge-bord : c’est que la chambre est située au-dessus du magasin de M. Bonacieux, et que monsieur Flanchet a découvert une trappe. « Malheureux, j’espère bien que vous ne descendez pas par cette trappe pour faire vos provisions? — Fi donc, monsieur! descendre, moi ? Ce serait voler! Non, monsieur, ce sont les provisions qui montent. » Et le malin compère joint la preuve à la parole, pour le réconfort de son maître : il harponne un jambon et un pain avec une hallebarde, il prend une bouteille au lasso, il pêche un poulet à la ligne. Quoi donc?.. A la guerre comme à la guerre! L’estomac d’un mousquetaire, et d’un mousquetaire gascon, à l’heure du déjeuner, n’est pas en temps de paix; aussi brave, mais moins naïf, d’Artagnan n’est pas don Quichotte ! — Et c’est ce matin-là, par surcroît, que nous faisons la connaissance de M. Bonacieux: il rend visite à son locataire, à son débiteur, comme ferait M. Dimanche, si, marié à une jolie femme et compromis par elle en des manigances politiques, il venait se mettre sous la protection de don Juan. Notre ami, pour le bien de son propriétaire, le laisse arrêter ; et comme il a raison ! Cela nous vaudra, tout à l’heure, l’interrogatoire de Bonacieux: « Vous savez sans doute pourquoi vous êtes à la Bastille? — Parce qu’on m’y a conduit. » Ensuite, l’entretien du bonhomme et du cardinal; la mise en liberté de cet imbécile, que Richelieu a reçu en l’appelant « mon ami; » le récit qu’il fait de ce colloque, pour imposer à sa femme : « Ah ! madame, vous ne saviez pas que je connusse votre complot?.. M. le cardinal m’a éclairé là-dessus. — Le cardinal! Vous avez vu le cardinal? — Il m’a fait appeler, madame! » Mais pour atténuer les effets du zèle de Bonacieux, passé au service de Son Eminence, les trois mousquetaires se trouvent à point; partant pour l’Angleterre, d’Artagnan le recommande à ses amis : « Enfermez-le dans sa cave