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pas à Saint-Louis, s’agenouiller sur la tombe de Pauline de Beaumont ?

Bien qu’elle eût quarante ans et que toutes les mélancolies de la vie se fussent gravées sur son front, la pureté de ses traits, l’élégance de sa personne, avaient frappé Canova. Il aimait en elle le sens artistique, si rare alors chez les femmes françaises, et que l’école romantique allait développer. Mme de Custine était attirée par la naïveté d’esprit du grand sculpteur. Ses récits vénitiens la charmaient[1].

Un jour, son fils lui dit : « Savez-vous, avec votre imagination romanesque, que vous seriez capable d’épouser Canova ! — Ne m’en défie pas, répondit-elle ; s’il n’était pas devenu marquis d’Ischia, j’en serais tentée. »

Il ne faut voir là qu’un propos sans importance, qui ne répondait chez Mme de Custine ni à un sentiment durable, ni à un désir sérieux de changer de nom.


VI.

Quand elle rentra en France et qu’elle revit Chateaubriand, Mme de Custine ne pouvait même plus espérer qu’elle serait, comme avant, la confidente de ses projets et de ses peines, la conseillère de tous les jours.

À la fin de l’été de 1809, il avait loué un appartement rue Saint-Honoré, au coin de la rue Saint-Florentin. Ce fut dans cette maison, chez M. de Las Cases, qu’il fit plus tard la connaissance de la duchesse de Duras ; et son salon devint le sien, jusqu’au jour où Mme Récamier ouvrit à l’idole le temple de l’Abbaye-aux-Bois[2].

Mme de Custine essaya vainement de lutter par son intelligence, par son esprit ; elle ne put contre-balancer l’influence souveraine de l’auteur d’Ourika.

La duchesse de Duras avait quelques années de moins que Delphine de Custine. Son père, le comte de Kersaint, avait été un de nos plus vaillans hommes de mer, en attendant qu’il devînt, sous la révolution, un intrépide citoyen. Député à la Convention, il avait, dans le procès du roi, voté pour l’appel au peuple et contre la mort. Quand Louis XVI fut condamné, le 18 janvier, Kersaint demanda courageusement la parole, et rappelant son vote au milieu des murmures : « Je veux, ajouta-t-il, épargner un crime aux assassins, en me dépouillant moi-même de mon inviolabilité ; je donne ma démission

  1. La Russie en 1839, A. de Custine, lettre III.
  2. Mémoires de Mme de Chateaubriand.