Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du voyage de Chateaubriand en Grèce et en Orient n’eut que des admirateurs, et Napoléon, se promenant dans la galerie du Louvre, dit autour de lui : « Pourquoi Chateaubriand n’est-il pas de l’Institut ? » Il était nommé quelque temps après à l’Académie française, en remplacement de Marie-Joseph Chénier.

L’orage qui sortit du discours de réception a été raconté partout ; les amis de Chateaubriand se communiquèrent des copies. Mme de Custine en avait une : elle la prêta à sa mère, à sa belle-sœur, et l’envoya à son frère, à Coppet, pour Mme de Staël. Cette copie figure dans les documens que Mme de Custine avait précieusement conservés ; nous l’avons tenue entre les mains, avec une feuille de laurier rose cueillie sur le tombeau de Virgile par René.

Ce fut l’époque où le talent de Chateaubriand atteignit son apogée. À l’aisance avec laquelle il portait alors tant de dons brillans, on reconnaissait aisément qu’il était de « ces hommes divins qui chantent les dieux sur la lyre. » Les passions-de la politique n’avaient pas encore altéré certaines qualités de bonhomie qui faisaient de lui, quand il le voulait, l’imagination la plus souverainement aimable de son temps ; néanmoins, les dernières années de l’empire étaient tellement lourdes, qu’une crise se préparait dans son esprit. Il était prêt à écrire contre le colosse qui s’écroulait le redoutable pamphlet Bonaparte et les Bourbons.

Mme de Custine partageait de plus en plus ses sentimens d’opposition. Fouché n’était plus à la police pour la protéger ; voulant se soustraire aux menaces de Savary, elle fit avec son fils, en 1811, un voyage en Suisse et en Italie ; elle désirait surtout connaître Rome. Tout ce que lui avait dit Chateaubriand de la ville éternellement triste et de la campagne romaine lui montait au cœur. On ne l’a point vue, lui répétait-il, quand on n’a pas parcouru les rues de ses faubourgs mêlées d’espaces vides, de jardins pleins de ruines, d’enclos plantés d’arbres et de vignes, de cloîtres où s’élèvent des cyprès et des palmiers. Il n’y avait pas de petit chemin entre deux haies qu’il ne connût mieux que les sentiers de Combourg.

Arrivée à Rome, Mme de Custine y passa l’hiver et s’y forma bien vite une société charmante.

Rome était encore la patrie de toutes les âmes en deuil, la seule ville qu’on ne voulût point quitter. Mme de Custine vit tous les lieux que la voix de René lui avait décrits, jusqu’au petit chemin derrière Saint-Jean-de-Latran. « La vieille reine, superbe sous ses ruines, » enchaînait le cœur de Delphine rien qu’avec quelques pans de murs, une plaine que hantait la fièvre et des fondrières où trébuchaient les chevaux. Elle se promena, elle aussi, sur la Voie Appienne, jusqu’au mausolée de Cœcilia Metella. Qui sait si elle n’alla