Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans doute, cette respectueuse affection pour une jeune femme, belle, gracieuse, fit un peu jaser ; Chateaubriand osait faire allusion à ces médisances et se donnait des airs de jaloux.

La première partie de cette correspondance se termine par les deux billets suivans :


« N° IX. — Demain, je serai chez vous à onze heures ; mais je suis dans une grande inquiétude, j’attends une lettre du terrible cardinal[1]. Que contiendra-t-elle ?

« À demain. Je vous écris au milieu de deux hommes qui me persécutent et ne me laissent pas un moment pour songer à ce que je vous dis.

« À demain.

« A Madame de Custine. »


« N° X. — Je ne puis vous voir ce matin. Il faut que je cherche un logement. Je suis de l’humeur du chien Trim : j’ai envie de mordre tout le monde. Il est vrai que je suis fort malheureux.

« À demain matin.

M Jeudi. »

« P.-S. — Je ne pourrai être consolé que par la visite de Mme de Saint-Léon.

« A Madame de Custine, rue Martel, no 9, faubourg Poissonnière. »


Mlle de Saint-Léon était la dame de confiance qui portait les réponses. Un ordre brusque de départ vint mettre un terme à l’expansion de ces premières tendresses. Chateaubriand quitte Paris, et dans une longue lettre adressée collectivement à Chênedollé[2] et à Joubert, il raconte à la petite société les incidens et les impressions du voyage. Il avait fait le brave en partant, mais dès qu’il fut seul, il se prit à pleurer. Les larmes coulèrent jusqu’à Melun. En avançant, les distractions de la route emportèrent le chagrin. L’artiste se réveilla. Les beautés du paysage et du coucher de soleil le prirent tout entier. « Un petit bout du croissant de la lune était dans le ciel, tout justement pour m’empêcher de mentir, car je sens que si la lune n’avait pas été là réellement, je l’aurais toujours

  1. Le cardinal Fesch.
  2. Voyez cette lettre publiée par M. de Raynal, les Correspondans de Joubert.