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vivent de leur travail manuel et dont le patrimoine se réduit à des salaires gagnés au jour le jour est particulièrement intéressante : si l’on peut l’améliorer par voie législative, sans porter une atteinte aux principes généraux du droit civil et sans rompre l’unité de la nation, il faut le faire. Nous n’avons pas cru qu’il y eût lieu de promulguer un code du travail ni même de refondre le chapitre du code civil qui traite du louage d’ouvrage et d’industrie : on sait pourquoi. Mais tout ne nous paraît pas chimérique dans les réformes proposées par les jurisconsultes, et nous allons chercher, avec ceux que nous réfutions tout à l’heure, s’il n’y a pas moyen de corriger ou de compléter dans l’intérêt des ouvriers, sans nuire à l’intérêt général, plusieurs dispositions éparses dans notre législation civile.

Une loi d’août 1868, accordée par l’empereur aux délégations ouvrières, qui l’avaient sollicitée à l’exposition de 1867, a purement et simplement abrogé l’article 1781 du code civil, d’après lequel, en cas de litige sur la quotité des gages ou sur le paiement des salaires, le maître ou le patron était « cru sur son affirmation. » Nous ne saurions nous associer aux critiques qui furent dirigées contre cette loi dans les deux dernières années du second empire. Pourquoi croire le maître ou le patron plutôt que le serviteur ou l’ouvrier? Parce qu’il a, disait-on, un moindre intérêt à trahir la vérité? Mauvais moyen de discerner le droit, car il suffisait que le maître eût un intérêt quelconque à la trahir ; mauvais moyen de rendre « à chacun le sien, » car le juge était lié par une présomption légale et tenu d’y plier sa conviction. D’ailleurs, on dérogeait au système général des preuves. Or s’il ne faut pas, en général, déroger au droit commun, même pour ceux qui vivent.de leur travail manuel, il est encore plus regrettable, il est peu généreux, il est impolitique d’y déroger contre eux. Nous donnons donc raison aux pouvoirs publics contre les chambres d’agriculture et de commerce, les conseils-généraux, etc., qui, dans l’enquête agricole ouverte à la même époque, avaient réclamé le maintien d’une disposition surannée, empruntée par les rédacteurs du code civil aux édits du XVIe siècle.

Mais on s’est à bon droit demandé si le législateur de 1868, en se contentant d’abroger l’article 1781, avait tenu compte des usages établis dans la vie journalière. Tout le monde sait que, si l’intérêt d’un litige excède 150 francs, le code de 1804 exige une preuve écrite, à l’exclusion de la preuve testimoniale et des présomptions. Or il arrive le plus souvent que, dans les rapports des maîtres avec les prestataires de services manuels, ni les conventions ni les quittances ne sont rédigées par écrit. On n’impose guère,