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être présumé responsable, d’après M. Sainctelette, parce qu’il est « de beaucoup le principal partenaire de l’opération. » Il doit l’être encore, parce que tout contrat de louage d’ouvrage contient implicitement cette clause : « Le patron, en louant les services d’un ouvrier, lui promet non-seulement un salaire, mais encore la sécurité. » La première de ces deux raisons, la prétendue raison d’équité, nous paraît être la moins équitable du monde. Un entrepreneur, un chef d’usine ou de manufacture, emploie mille ouvriers : pourquoi donc l’envisager comme « le principal partenaire » de l’opération ? Parce qu’il doit tirer un plus grand profit de l’œuvre commune ? Qu’en savez-vous ? Combien d’entreprises industrielles ne donnent pas de bénéfices ! Combien d’autres se liquident par des pertes ! Au terme d’une campagne industrielle, l’ouvrier peut avoir touché de beaux salaires et même, s’il a le goût de l’épargne, avoir fait des économies, pendant que le patron s’est ruiné. Parce que vous lui attribuez, abstraction faite de l’opération elle-même, plus de ressources de toute nature, à l’aide desquelles il saura toujours se tirer d’affaire ? D’abord, c’est une supposition gratuite. Ensuite, c’est le plus extraordinaire des raisonnemens et la plus étrange manière de déterminer les conséquences d’engagemens réciproques. Quoi ! cet homme ne sera plus, pour le législateur et pour le juge, un simple contractant ! Il faudra chercher en dehors du contrat lui-même ce que sont ses lumières, ses appuis, ses capitaux, sa situation sociale et régler par ces considérations extérieures ses obligations ou ses droits ! Étrange équité, dont le double fondement est un arbitraire sans limite et l’inégalité des citoyens devant la loi !

Pour apprécier la raison de droit, analysons le contrat et cherchons à pénétrer l’intention des contractans ! Est-ce que le louage d’ouvrage contient implicitement une « promesse de sécurité ? » Bornons-nous à quelques exemples : un maître charpentier embauche un ouvrier et lui offre de poser un plancher sur un toit avec certaines chances de chute ; un artificier embauche un ouvrier qui accepte en connaissance de cause toutes les perspectives inhérentes à l’exercice d’une profession très périlleuse ; un propriétaire de mine embauche un ouvrier sachant assurément, au moment où la contrat se forme, qu’il faut, pour descendre dans la mine, se servir d’appareils dangereux, que le grisou peut s’enflammer, que des inondations ou des éboulemens peuvent se produire. Quoi ! le patron fait, dans ces divers cas, une promesse de sécurité ! Mais c’est interpréter le pacte au rebours de l’intention commune et du bon sens. L’ouvrier se soumet, au contraire, à toutes les chances d’accident inséparables du travail auquel il est astreint. Ce risque qu’il court est un élément même du service qu’il va rendre, en détermine la nature et en règle le prix. Les ouvriers mineurs,