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les patrons ne pouvaient pas se soustraire aux conséquences de leurs fautes, ils pourraient, au contraire, si leur responsabilité ne dérive que du contrat, la limiter ou même la supprimer par une clause formelle, tandis qu’on pouvait leur demander compte, d’après la théorie des délits et des quasi-délits, même de la faute la plus légère, ils répondraient seulement, à l’avenir, des fautes que ne commettrait pas un bon administrateur. Rien de plus, aux yeux de M. Glasson. Ce sage et scrupuleux jurisconsulte n’admet pas, avec M. Sainctelette et toute son école, que, la faute étant contractuelle, le patron soit par là même présumé responsable et doive, pour écarter cette présomption, prouver la faute de l’ouvrier. A-t-on établi, dit-il, qu’un des contractans n’a pas exécuté son obligation? Il ne peut sans doute échapper aux dommages-intérêts qu’en prouvant le cas fortuit ou la force majeure ; mais il faut d’abord savoir s’il est vrai qu’il ne l’ait pas exécutée. L’ouvrier a été blessé par un éclat de la machine; le patron soutient qu’elle était en bon état au moment où il l’a livrée, et l’ouvrier dit le contraire. Pourquoi croirait-on l’un plutôt que l’autre? Puisque le code n’a pas, sur ce point, modifié les principes élémentaires, de notre législation civile, la faute, cette fois encore, ne se présume pas, et c’est à l’ouvrier, par conséquent, de la démontrer. Ainsi comprise, la théorie de la garantie contractuelle est beaucoup plus favorable aux patrons qu’aux ouvriers : elle autorise les premiers à stipuler leur irresponsabilité, les affranchit de leurs fautes très légères et ne renverse pas l’obligation de la preuve! Si tel était l’avis général dans le camp des novateurs, on ne se serait pas tant échauffé sur cette question; le débat n’aurait pas retenti hors de l’école et ne mériterait pas d’être soumis aux lecteurs de la Revue.

Mais ce n’est pas pour aboutir à cette insignifiante conclusion que les inventeurs de la théorie nouvelle ont noirci tant de papier. La plupart d’entre eux soutiennent que, la responsabilité dérivant du contrat, l’ouvrier demandeur, après un accident, n’a rien à prouver. Nous planons enfin au-dessus des subtilités juridiques, et tout le monde aperçoit quel intérêt on peut avoir à changer l’interprétation presque séculaire du code. L’intérêt est « énorme, » s’écrie M. de Courcy, et nous n’y contredisons pas. On laisse encore aux ouvriers la charge des accidens causés par leur faute ; mais il faut démontrer leur faute : on leur laisse aussi la charge du cas fortuit et de la force majeure, mais les patrons supportent le risque des accidens sans cause connue. C’est un bouleversement complet non-seulement des rapports juridiques entre les « employeurs » et les employés, mais encore des rapports économiques entre le capital et le travail. Comment justifier cette révolution?

Par une raison d’équité, par une raison de droit. Le patron doit