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quand il était convaincu que l’action était indispensable. « Si je crois, écrivait-il encore à M. de Corcelle, qu’il n’est pas sage d’attaquer les Kabyles de la grande chaîne, je crois tout aussi fermement qu’il faut renverser le drapeau d’Abd-el-Kader dans les petits coins où il reste encore debout. Ce sont de très petits foyers, il est vrai, mais ils pourraient ramener l’incendie ; il faut donc y promener la pompe. Je compte m’avancer un peu entre le Djurdjura et la mer pour en chasser le khalifa Ben-Salem, et ranger sous notre drapeau cinq ou six tribus qui avaient obéi et payé l’impôt à Abd-el-Kader. »

Déjà, en 1842, il avait poussé une forte reconnaissance au sud-ouest du Djurdjura contre Ben-Salem. En 1844, il méditait une grande opération à laquelle auraient concouru les forces de Constantine avec celles d’Alger. « Pour espérer des succès un peu prompts, écrivait-il au maréchal Soult, il ne faut pas moins de trois colonnes, et je préférerais en employer quatre, partant de Bougie, Djidjeli, Djémila et Sétif, pendant que les troupes d’Alger s’avanceraient entre le Djurdjura et la mer. Chacune de ces colonnes ne peut être moindre de 4,000 hommes, car on peut rencontrer 20,000 Kabyles réunis et même plus. Je pense que tôt ou tard cette partie de l’Algérie doit nous appartenir comme tout le reste ; mais, si on la veut dès à présent, il faut vouloir y employer les moyens nécessaires. »

Comme à Paris on ne la voulait pas du tout, les moyens nécessaires lui furent péremptoirement refusés. Réduit à ses propres ressources, il restreignit son plan à l’occupation de Dellys et à la soumission de la Kabylie occidentale. Le 26 avril, trois colonnes se formèrent en avant de la Maison-Carrée. L’effectif total était de 5,000 baïonnettes et de 400 chevaux.

Le 28, les trois colonnes arrivèrent sur l’Isser, où le khalifa Mahi-ed-Dine les rejoignit avec 600 cavalier arabes. Le 2 mai, elles bivouaquèrent à Bordj-Mnaïel, au pied des montagnes qu’habitent les Flissa. Bordj-Mnaïel était un ancien poste turc. Le maréchal y fit construire un camp retranché, afin d’y pouvoir laisser un grand dépôt de munitions de guerre et de bouche. Tandis qu’une partie des troupes travaillait à cet ouvrage, il mena l’autre à Dellys, petite ville maritime située à 7 lieues de distance, au nord-est. Il y arriva le 8 mai ; une flottille de bateaux à vapeurs, venus d’Alger, l’y attendait avec un chargement de vivres.

La ville, adossée à la montagne dont le dernier éperon forme le cap Bengut, contenait une centaine de maisons et quelques centaines d’habitans vivant en général du produit de leurs jardins et d’un petit commerce de volailles et de fruits secs qu’ils faisaient