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Du reste, Aïn-Madhi est une ville forte pour des Arabes. Il peut y avoir un millier d’âmes et 300 fusils. Plus du tiers de la ville est en ruines ; l’intérieur des maisons est misérable. La seule kasba de Tedjini a un étage. Aïn-Madhi est moins important que Laghouat, qui compte 3,000 habitans et 500 fusils. Comme Tadjemout, comme Laghouat, Âïn-Madhi est une oasis dans le désert. Hors l’enceinte des jardins, plus un arbre, plus la moindre végétation : des sables, des terrains rocheux. Le soir, à six heures, j’étais au bivouac, où j’ai reçu des complimens du général Marey.

« Le lendemain, nous quittions Tadjemout, et, pour servir la politique du khalifa Zenoun, nous faisions une pointe sur El-Aouta, autre ksar du désert. Deux jours après, nous étions à Laghouat. Là, toute la population mâle et militaire, environ 500 à 600 Arabes, sont venus au-devant de nous, faisant de la fantasia, tirant des coups de fusil, et musique en tête.

« Laghouat est fort grand ; en comptant les jardins, il a environ une lieue et demie à deux lieues de tour. La ville sépare les jardins en deux, et est séparée elle-même par un rocher sur le haut duquel est bâtie la kasba. Du haut de cette kasba, la vue est admirable : à l’est et à l’ouest, le désert ; derrière, les contours de la rivière ; au nord et au sud, les deux parties de la ville, avec ses hautes murailles grises sans ouvertures que des portes de trois pieds de haut, et plus loin les jardins, avec des forêts de palmiers si élevés que les autres arbres paraissent au-dessous absolument comme des plants de fraisiers-ananas. Du reste, cette ville, l’une des plus importantes du désert, est pleine de malheureux qui meurent de faim. Je suis entré dans plusieurs maisons. Il y a de jolies femmes à côté d’horribles créatures. J’ai vu vingt vieilles auxquelles j’aurais donné plus de cent ans : elles n’en avaient pas cinquante. On fait commerce de burnous, de peaux d’autruche et de dattes. Nous sommes arrivés le 25 mai sous Laghouat, et nous le quittons demain 28. »

Enfin, après cette longue excursion, qui avait mené la colonne à plus de 120 lieues de la mer, elle rentra, le 11 juin, dans le Tell, par Tiaret.


VI.

Ces expéditions au-delà des limites telliennes des provinces de Constantine et d’Alger devaient avoir d’importantes conséquences. Elles habituaient les tribus, même les plus lointaines, à l’idée d’accepter la suprématie française. C’était déjà, dans la plus grande partie du Tell, un fait accompli. Comme les premiers mois de l’année