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avait déclaré qu’il ne recevrait à aucun prix la colonne dans son ksar. « Un général français, avait-il écrit à l’interprète principal de l’armée, M. Léon Roches, veut pénétrer dans ma ville à la tête de ses troupes, c’est-à-dire enlever à la zaouïa de mes ancêtres le prestige dont elle jouit dans le Tell et le Sahara; mais, en permettant un acte qui sera considéré par tous les Arabes comme un acte d’hostilité, le khalifa du sultan de France ne détruirait-il pas l’influence que j’exerce à son profit? Voudrait-il me traiter comme m’a traité mon ennemi et le sien, le fils de Mahi-ed-Dine ? Je suis prêt à acquitter l’impôt dû au gouvernement. J’enverrai au général les principaux d’Aïn-Madhi donner l’exemple de la soumission ; mais s’il persistait dans le projet de pénétrer avec son armée dans ma ville, je le dis à toi qui sais que le fils de mon père conforme ses actes à sa parole, je saurais m’ensevelir sous ses ruines. »

De part et d’autre on transigea : il fut convenu qu’une délégation française aurait seule accès dans Aïn-Madhi. « En effet, raconte le commandant Durrieu dans une lettre à M. Léon Roches, un escadron d’élite, composé de 10 officiers pris dans chacun des corps de notre colonne expéditionnaire, et placé sous le commandement du colonel de Saint-Arnaud, se présentait, le 22 mai, à la porte d’Aïn-Madhi, ayant pour escorte 12 chasseurs d’Afrique. Le khalifa Ben-Salem et 100 cavaliers, montés sur des jumens de pure race et coiffés du grand chapeau garni de plumes d’autruche, nous attendaient le fusil haut. Les deux premiers khoddam du chérif, Sidi-Mohammed-Tedjini, ayant à leur suite une partie de la population, nous souhaitèrent la bienvenue au nom de leur maître et nous introduisirent dans la ville dont les nouvelles murailles nous ont tous étonnés par leur force et la bonne disposition du plan, qui diffère, d’ailleurs, très peu de celui qui accompagne le récit émouvant que vous avez rédigé des épisodes du siège mémorable d’Aïn-Madhi. La ville est restée livrée à notre curiosité pendant trois heures ; les crayons des topographes et des paysagistes ont fait leur jeu. » Le lendemain, Tedjini fit porter au général les 500 boudjous qui représentaient le montant de sa taxe, mais le général les lui renvoya gracieusement.

Le témoignage du lieutenant-colonel de Saint-Arnaud est encore plus curieux et pittoresque : « Nous avions, écrivait-il, traversé la zone des gazelles, celle des autruches et celle des dattes. Quel pays ! Pas de végétation, pas d’eau, pas un arbre ! Des ondulations de terre comme les vagues d’une mer sans bornes, un horizon grisâtre qui recule toujours et ne finit jamais ; pas un objet où l’œil fatigué puisse se reposer ; de loin en loin, un troupeau de gazelles qui fuit, quelques