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généraux qui font de Pope non le poète d’un état d’âme excentrique, mais un poète ouvert à tous, de ce don des idées générales qui le rendent intéressant pour tous, de cette aptitude facile à saisir la beauté et à la donner à tout ce qu’il touche. Walter Scott écrivait dans je ne sais laquelle de ses préfaces, en réponse à certaines critiques venues de l’école des lacs : « J’en demande bien pardon à quelques-uns de nos contemporains, mais si, comme poète, je ne suis pas digne de dénouer les sandales de certains d’entre eux, je sais mieux qu’eux ce qui peut intéresser la majorité des hommes. » S’il fut revenu au monde, Pope aurait pu répondre quelque chose de semblable par rapport à ses successeurs.

Sa renommée est restée supérieure à tous les changemens du goût public et à toutes les révolutions qui se sont accomplies dans la poésie. Elle a eu à subir de fortes attaques, cependant, dont quelques-unes partaient de talens singulièrement originaux et profonds. Il est remarquable, toutefois, que ces attaques ne sont jamais venues que de poètes et de critiques prenant la nature de biais, obliquement et par détours, comme Wordsworth et son école ; mais toutes les fois qu’il s’est rencontré un grand poète de race, entrant d’emblée dans la nature, directement et non par chemins de traverse et sentiers cachés, il n’a jamais eu envie de médire de Pope et l’a salué comme un maître. En dépit de ce romantisme dont il poussa si loin les conquêtes, Walter Scott ne s’associa jamais aux réactions dirigées contre Pope et lui garda toujours une judicieuse admiration. C’était bien mieux pour Byron, car c’était un véritable culte, passionné, presque fanatique. Les lettres qu’il écrivit pour venger le poète des critiques de Bowles sont d’une telle virulence qu’il n’aurait pu la dépasser s’il se fût agi de lui-même, en sorte qu’elles donnent par momens l’illusion d’un plaidoyer pour son propre génie. Et c’était en effet quelque chose de tel, car l’étude profonde, constante de Pope se révèle à chaque instant dans ses poèmes. Si Byron doit quelque chose à quelqu’un de ses prédécesseurs, c’est à Pope, et il lui doit beaucoup. Les formes de l’ironie byronienne, par exemple, croiriez-vous qu’elles sont presque toujours les formes mêmes de l’ironie de Pope ? Innombrables sont les passages des Satires et des Épitres qui trouveraient place dans le Don Juan, sans que le gourmet poétique le plus exercé pût s’apercevoir de la plus subtile différence. Quelle est l’opinion de lord Tennyson sur Pope ? Nous regrettons de ne pas la connaître, mais nous oserions parier qu’il l’a beaucoup lu et admiré en ses jeunes années, et que cette admiration n’a pas nui à cette souplesse de versification, à cette constante élégance, à ce coloris sans violences,