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pas de jeu en pareilles aventures, elles appellent, en revanche, les sourires les plus radieux, et Erato, la seule Muse consultée pour ce poème, y a partout répandu la lumière des siens et partout remplacé la bouffonnerie railleuse par un ton de galanterie enjouée.

Cette difficulté si bien résolue n’était pas la seule, ni même la principale. Qui dit poème héroï-comique dit une action bouffonne présentée et racontée avec les formes parodiées de l’épopée héroïque. Le sujet, aussi léger soit-il, doit donc offrir assez de substance pour se prêter aux développemens. Mais ici où trouver cette substance? Supposons un poète préoccupé d’obéir aux lois du genre, et il sera clair que l’enlèvement de la boucle de cheveux de miss Arabella ne pourra être qu’un exorde, un point de départ, et que le véritable sujet sera la querelle des deux familles. Et ce sujet s’imposait si naturellement, qu’une fois accepté, vous pouvez aisément constituer vous-même le poème ou deviner ce qu’il aurait été sous la plume d’autres poètes, sous celle de Pope même, s’il eût été plus désintéressé dans la question. Supposez ce sujet traité, par exemple, par un poète de la renaissance, et voyez comme il va dérouler lentement son action au travers d’épisodes accumulés à plaisir pour la suspendre ou la retarder. Une machinerie toute classique, appelant les substantielles divinités de l’Olympe à prendre part à la querelle, va rendre le cas de lord Petre aussi fécond en catastrophes que le jugement de Paris. Voyez-vous les deux familles combattant sous un nuage épaissi à plaisir par les dieux, les rencontres chevaleresquement bouffonnes d’oncles et de cousins, ou risiblement plébéiennes de valets et de cliens, la vengeance de l’aimable offense remise au sort des armes, une joute solennellement institués à cet effet dans des conditions burlesques, et, pendant que les hommes combattent, les dames des deux familles s’assemblant en parlement à l’instar des cours d’amour provençales et s’évertuant à discuter le larcin de lord Petre dans des discours pleins de subtilités captieuses ? Enfin, tous ces moyens n’aboutissant pas, sur une inspiration venue d’Apollon ou des Muses, par quelque songe ou quelque oracle, un ami commun, jouant le rôle de Caryll, aurait proposé l’intervention de la poésie, la puissance pacificatrice dont les bêtes et les pierres même ont ressenti l’influence, — vous devinez le défilé de noms et d’histoires qui prouvent cette influence : Orphée, Amphion, Arion, David, — et là-dessus le poète aurait terminé son poème en faisant, en manière d’envoi, un appel à la paix. Supposez, au contraire, le sujet traité par un poète de la fin du XVIIe siècle, ou même contemporain de Pope, la composition sera à peu près la même, avec cette différence que les moyens de la ruse seront substitués partout aux