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égard deux témoignages de premier ordre. Le premier est celui de Johnson, qui nous apprend que Pope apprit le français en même temps que l’italien, ses études classiques une fois terminées, c’est-à-dire à une date très rapprochée de la publication de ses premiers poèmes. Or, si l’on songe que tout ce que Pope sut jamais bien, il l’avait appris dans son enfance, cette date qui, pour tout autre, serait précoce, est pour lui relativement tardive, d’où l’on peut conclure qu’il ne poussa jamais loin cette étude. Le second témoignage est celui de Voltaire, qui, dans ses Lettres anglaises nous dit que Pope ne fut jamais familier avec notre langue. On s’en aperçoit, en effet, aux très rares jugemens qu’il a portés sur nos écrivains, car, pour ne citer qu’un seul exemple, comment un homme d’un tel goût, s’il eût vécu dans un commerce plus intime avec nos écrivains, n’aurait-il pas trouvé pour caractériser Racine une autre épithète que celle d’exact, même en prenant ce mot dans le sens de justesse ou de fidélité à la nature? D’ailleurs, s’il accepte les doctrines françaises, c’est avec des réserves dont quelques-unes sont peu flatteuses pour notre amour-propre. Que disait-il de Boileau, lorsque, tout frais sorti de ses lectures françaises, il écrivit son charmant poème didactique : Essai sur la critique ? « La science de la critique fleurit principalement en France : Une nation née pour servir obéit aux régies, et Boileau gouverna de par le droit d’Horace. » Lequel de ses lecteurs n’a pas gardé dans sa mémoire ce célèbre passage de son épître-satire à George II, ingénieuse imitation de l’épître d’Horace à Auguste : « Nous conquîmes la France, mais nous sentîmes les charmes de notre captive ; ses arts victorieux triomphèrent de nos armes... Ce n’est que tard, très tard, que la correction fit l’objet de nos soucis, lorsque la nation fatiguée respira au sortir des guerres civiles. L’exact Racine et Corneille au noble feu nous montrèrent que la France avait quelque chose à faire admirer. Ce n’est pas que le génie tragique ne fût nôtre; il brilla avec plénitude dans Shakspeare, avec beauté dans Otway, mais Otway oublia de polir et de purifier, et l’abondant Shakspeare ne ratura jamais une ligne : le fécond Dryden lui-même ignora ou négligea ce dernier et ce plus grand des arts, l’art d’effacer. » On le voit, c’est moins le génie de Racine et de Corneille que leur souci de la correction qu’il propose à l’imitation de ses compatriotes, et remarquez bien que son admiration pour nos deux tragiques ne l’empêche pas de placer au-dessus d’eux ce Shakspeare dont il fut le premier éditeur moderne, et dont il se recommande tout autant que Dryden.

Il nous semble, d’ailleurs, qu’on se méprend quelque peu sur le classicisme de Pope. Bien lu, son Essai sur la critique nous en révèle le vrai caractère. Il y enseigne que la seule source d’inspiration