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Sainte Cécile et la Fête d’Alexandre, il n’y aurait vraiment rien là pour eux.

La forme de ces œuvres, plus mémorables que séduisantes, et plus puissantes que sympathiques, est en rapport étroit avec cette servitude du poète. Elle a empêché et entravé en lui l’artiste à un degré presque incroyable. Par exemple, il aime à se servir de l’allégorie, et cette préférence est parfaitement justifiée par la nature des sujets qu’il a traités, l’allégorie étant en poésie le vêtement naturel des idées philosophiques, la forme qui peut le mieux les cacher et les montrer à la fois, leur enlever tout caractère d’abstraction et leur conserver en même temps leurs caractères d’idéalité et d’éternité; voyez l’emploi qu’en ont fait Dante, Spenser, Milton, Goethe. Seulement il est clair que, pour que l’allégorie ait son plein effet, il faut que le poète la soutienne jusqu’au bout, sans fléchir et sans laisser apparaître un seul instant l’idée ou les idées qu’elle est chargée de personnifier. Eh bien! si vous avez lu Dryden, avez-vous remarqué qu’il n’a jamais pu soutenir ses allégories vingt vers de suite? et d’où vient ce vice énorme, sinon de cette préoccupation constante des circonstances du moment qui le porte à moins se soucier de servir la vérité pour tous les âges que de la servir pour la semaine où il écrit? Voyez la Biche et la Panthère ; le début allégorique en est des plus heureux, mais ce charme dure peu, et, dès la troisième page, la fiction s’est pour ainsi dire liquéfiée pour laisser à sa place une controverse entre un Burnet et un père Petre quelconques sur les mérites comparés de l’église catholique et des diverses sectes protestantes. De même que cette servitude du temps entrave l’artiste chez Dryden, elle altère en lui le poète en le réduisant à la seule éloquence, éloquence admirable sans doute, mais tellement passionnée, ardente et pressée de convaincre, qu’elle n’en respecte pas les lois naturelles du discours, et qu’argumens de l’exorde et argumens de la péroraison se joignent et se confondent. Ce tour oratoire donne aux poèmes de Dryden les défauts indispensables à l’avocat, au tribun, au controversiste, au prédicateur, qui veut emporter la conviction d’emblée, sans temps d’arrêt, sans intervalles, sans repos. Cela est lancé d’un jet ininterrompu, dur, compact, fort, et vaut surtout par l’énergie et la véhémence. Pas d’air, pas d’atmosphère où les pensées puissent librement se mouvoir et faire valoir leur beauté, pas de plans heureusement et naturellement distribués : jamais grand poète n’a moins connu que Dryden les lois et la valeur de la perspective. Ah ! voilà une Muse pour laquelle n’a pas été faite l’expression antique, Musa ales, celle de Dryden ; car, si l’on veut absolument associer l’idée de vol à cette poésie, il faut penser aux allégoriques animaux d’Ezéchiel, mieux encore à