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Pour cela, nous ne lui demanderons que de se faire un plan, non pas certes plus vaste, mais plus complet, et surtout un plan plus sévère, mieux défini, qui réponde mieux à ses propres intentions. Notre littérature classique est si riche, qu’une bibliographie des éditions originales de nos grands écrivains, pour être à peu près complète, n’exigerait pas moins d’une demi-douzaine de volumes comme celui de M. Le Petit ; il faut donc faire un choix ; seulement, ce choix ne doit pas dépendre du caprice ou de la fantaisie des amateurs de livres, mais des besoins de la critique et des nécessités de l’histoire littéraire. Les amateurs de livres, dont la manie, d’ailleurs louable, n’est malheureusement pas toujours pure d’une arrière-pensée de spéculation ou de lucre, décrètent entre eux des changemens de modes, font des hausses ou des baisses factices, et renversent ainsi dans l’esprit des bibliographes la notion du bien et du mal. Il y a tantôt une dizaine d’années, pour des raisons encore mal éclaircies, aucun romancier ni grand écrivain du XVIIIe siècle ne se vendait plus cher que Restif de la Bretonne. On saura gré à M. Le Petit de n’avoir point fait figurer dans sa Bibliographie des principales éditions originales le déplorable auteur de Monsieur Nicolas et du Paysan perverti. Mais on pensera qu’il a fait la part et la place bien larges encore à Marivaux, par exemple, à Destouches, à Regnard, dont les éditions originales n’ont guère d’intérêt que celui de leur rareté relative, et du prix qu’on les paie quand elles passent dans les ventes publiques. Les Contes des fées, de Charles Perrault, — Histoires ou Contes du temps passé, avec des moralités, Paris, 1697 ; Claude Barbin, — n’ont de même un aussi long article dans le livre de M. Le Petit que parce que ce mince volume, d’environ deux cents pages, étant l’un des moins communs, est l’un aussi des plus chers du XVIIe siècle : il n’y a pas dix ans qu’un exemplaire « médiocre » s’en est vendu jusqu’à 1,600 francs. On conviendra pourtant, quelque estime que l’on fasse du Petit Poucet ou de Riquet à la houppe, que les Contes de Perrault ne tiennent pas dans notre histoire littéraire un rang considérable. D’une manière générale, dans le choix des Éditions originales dont il a donné la description et reproduit les titres en fac-similé, M. Le Petit s’est trop soucié de la valeur vénale des livres et pas assez de leur valeur ou de leur importance historique, plutôt encore que littéraire. Ce n’est pas le moindre défaut, ni le moins déplaisant, de sa Bibliographie des éditions originales : elle sent trop le catalogue de vente, ou le Manuel du libraire ; elle n’a pas l’air assez libéral, si je puis ainsi dire, ou assez désintéressé.

Le plan d’une Bibliographie de ce genre est en effet comme imposé par l’histoire même d’une littérature : il n’y a qu’à suivre le cours du temps, et, pour chaque siècle ou chaque époque, sans se soucier autrement du prix, dont nous n’avons que faire, il n’y a qu’à décrire les livres dont l’importance est certaine, si d’ailleurs la valeur littéraire