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recommencer en 1867, et la défaite qu’il essuya à Mentana fut une déroute. Les chevaliers errans ont leurs jours de gloire et de triomphe; le plus souvent, ils finissent mal. Ils ont le génie de l’inopportunité; comme les enfans, ils adorent les fruits verts et ils s’y cassent les dents.

Garibaldi, en résumant sa biographie, confesse que sa vie orageuse fut mêlée de mal et de bien; mais il affirme qu’il a toujours cherché le bien, que, s’il a fait quelquefois le mal, ce fut malgré lui. Il ajoute qu’il n’a jamais cessé de combattre la tyrannie et le mensonge, cause première de toutes les corruptions et de tous les avilissemens de notre espèce; mais que, si bon républicain qu’il fût, il a reconnu de plus en plus la nécessité d’une dictature honnête et temporaire pour sauver les nations. Les peuples, pensait-il, ont besoin qu’on les force à vouloir le bien, qu’on les contraigne à être libres, qu’on les oblige à être heureux. Il aurait voulu se faire dictateur pendant quelques années pour décréter la sagesse, la liberté et le bonheur obligatoires. Il aurait dû se dire que les peuples n’aiment pas à se réjouir par ordre supérieur, qu’ils préfèrent quelquefois la souffrance volontaire aux plaisirs qu’on leur impose, et qu’il n’y a pas de balances pour peser les douleurs et les joies.

Ses déceptions, ses revers l’avaient aigri. Quoiqu’il ait toujours cru à lui-même et à sa mission, il doutait dans ses heures noires ou grises si les hommes méritent qu’on se donne tant de peines pour eux, si la sagesse ne consiste pas à les oublier, à se désintéresser de leurs destinées, à cultiver en paix son jardin, à planter ses choux. Dans le temps où il fabriquait des chandelles à New -York, il fit un voyage d’affaires à Lima, et de Lima à Manille, à Canton. A son retour, il traversa la mer de la Sonde et, contournant l’Australie, il relâcha dans une des îles Hunter pour y faire provision d’eau. Il y trouva un établissement rural, récemment abandonné par un Anglais et sa femme, qui s’étaient retirés à Van-Diemen. La maison était simple, mais commode, bien construite, bien meublée, entourée d’un jardin. «Ile déserte, s’écrie-t-il, combien de fois n’as-tu pas sollicité délicieusement mon imagination, quand, las de notre société civilisée dans laquelle règnent le prêtre et le geôlier, je me transportais en idée sur tes gracieux rivages, où je fus accueilli par une compagnie de belles perdrix et où murmurait à travers un bois de haute futaie le plus limpide et le plus poétique des ruisseaux! »

Quand il eut été vaincu, couché dans la poussière par le chevalier de la Blanche-Lune, don Quichotte, dégoûté de la chevalerie, voulut se faire berger: « j’achèterai quelques brebis, disait-il à Sancho, et toutes les choses nécessaires à la vie pastorale. Puis, me faisant appeler le berger Quichottin et toile berger Pancinot, nous cheminerons à travers les