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retourner en Italie, où le feu couvait partout sous la cendre. Le 23 juin, il débarquait à Nice avec soixante-douze de ses compagnons. À peine eut-il embrassé sa mère, il se rendait à Roverbella, au quartier-général du roi Charles-Albert, et il offrait ses services à un prince qui jadis l’avait condamné à mort, mais qui lui semblait avoir racheté tous ses torts en déclarant la guerre à l’Autriche. « j’aurais servi, dit-il, sous les ordres de ce roi avec autant de zèle que si j’avais servi une république ; délivrer l’Italie de la domination étrangère était mon seul but. » Dès lors commencèrent ses difficultés, ses zizanies avec Mazzini, qui n’admettait pas qu’un républicain pût servir un roi. Il y a des jours où les inspirés reprennent leurs avantages sur les doctrinaires. Garibaldi fut toujours en butte aux soupçons, aux censures acrimonieuses des mazziniens, qui lui reprochaient ses inconséquences, ses infidélités à la grande cause. Ils disaient : « Périsse la patrie plutôt que la doctrine ! » Garibaldi répondait : « Périsse la doctrine plutôt que la patrie ! »

En 1859, il se mettra à la disposition d’un autre roi, dont il méprisait le grand ministre et dont il abhorrait le grand allié. On lui témoignait beaucoup de défiance. On voulait se servir de son nom, de son prestige, de l’action qu’il exerçaitsur les foules ; mais on le surveillait de près, on s’appliquait à le retenir dans une situation subalterne et dépendante, on s’arrangeait pour que son armée de volontaires ne s’augmentât pas trop, on lui refusait les secours qu’on lui avait promis. Il se plaignait qu’on lui fit des avanies, mais il en prenait son parti. « Quoique je fusse et que je sois républicain, je n’ai jamais pensé qu’il fallût imposer violemment la république à la majorité réfractaire d’une nation. » Plus tard, lorsqu’il aura détrôné les Bourbons de Naples, il fera hommage de ses conquêtes au roi Victor-Emmanuel, et de nouveau les mazziniens le dénonceront comme un infidèle, comme un faux frère : « Vous deviez proclamer la république, m’ont-ils crié et me crient-ils encore, comme si ces grands docteurs, accoutumés à dicter des lois au monde du fond des cabinets où ils écrivaillent, connaissaient les sentimens et les intérêts des peuples mieux que nous, qui les avons conduits à la victoire. Assurément, les monarchies prouvent chaque jour qu’il n’y a rien de bon à espérer d’elles ; mais quiconque prétend qu’en 1860 nous aurions dû proclamer la république de Palerme à Naples dit une fausseté. « Il savait haïr comme personne ; mus il faut reconnaître que, le plus souvent, il a préféré sa patrie à ses haines.

Toutefois, les chevaliers errans ne se donnent pas tout entiers et pour longtemps. Il ne faut attendre de ces esprits raides et durs, de ces âmes hautaines, qu’une obéissance intermittente, raisonneuse et indocile. Après s’être laissé encadrer, ils sortent des rangs. Une discipline