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pontifes, assis, «un peu faible, » mais toujours l’esprit alerte. Il semble alors s’être bien rétabli. Mais le 7 août, l’ambassadeur le trouve assez triste, « plus renfermé en lui-même que de coutume. » La fièvre ravageait Rome, et Alexandre se plaint du grand nombre des morts, qui lui fait peur : « Nous prenons, dit-il, plus de précautions pour notre personne que dans le passé. » Le 11, il célébrait, « sans sa bonne humeur habituelle, » l’anniversaire de son exaltation ; « il était en suspens, et inquiet au fond de son âme. » Ce jour-là, comme il regardait, d’une fenêtre, passer un enterrement, il dit : « Ce mois-ci est fatal pour les gens obèses. » À ce moment, un hibou tomba à ses pieds; il rentra épouvanté dans sa chambre, se répétant : « Mauvais présage! mauvais présage! » Le même jour, un vendredi, il dîne encore de bon appétit; on a retrouvé le menu de ce dernier repas : œufs, langoustes, citrouilles au poivre, confitures, prunes, une tourte enveloppée de feuilles d’or. Il est douteux qu’il ait arrosé d’eau de Trevi ce dîner dangereux pour la saison fiévreuse. Quelques jours auparavant, il avait soupé tard, à la fraîcheur mortelle de la nuit, avec César et plusieurs cardinaux, dans la vigne du cardinal Adrien. Le samedi 12, le mal se déclara violemment ; il était pris de fièvre et de vomissemens. Le duc se mettait au lit avec la fièvre, le cardinal Adrien et tous les autres convives ressentaient les mêmes symptômes inquiétans. Le 14, le pape fut saigné largement et l’état du duc empira. Le 15, Giustinian ne put obtenir de nouvelles sûres : ceux qui entraient au Vatican n’en sortaient plus ; le duc rappelait ses troupes à Rome ; les familiers du palais feignaient une grande sécurité ; « mais toutes ces précautions sont de mauvais augure. » Le 16, la situation n’avait point changé. Le 17, le pape prit médecine; son médecin, l’évêque de Vanosa, ne cachait point son inquiétude. Vers le soir, le palais « fut sens dessus dessous ; chacun cherchait à sauver secrètement ce qui lui appartenait. » Les gouverneurs des petits Borgia, Giovani et Rodrigo, expédiaient à Piombino les objets précieux de leurs pupilles. Le 18, de bonne heure, Alexandre se confessa et communia, au cours de la messe célébrée près de son lit; il avait alors une étrange hallucination : il voyait un singe qui bondissait à travers sa chambre; un cardinal, pour le calmer, dit qu’il allait prendre la bête : « Laissez-le, laissez-le, dit le mourant, car c’est le diable! » A l’heure de vêpres, il reçut l’extrême-onction; puis, en présence d’un évêque, du dataire et des palefreniers du palais, il expira. « Aussitôt, dit Burchard, le duc, qui était alité, envoya don Micheletto avec beaucoup de monde; ceux-ci fermèrent toutes les portes de l’appartement pontifical, et l’un d’eux tira un poignard et menaça le cardinal Casanova de l’égorger