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Le pape avait expédié quelques jours auparavant à son fils un bref où il lui ordonnait d’agir sans miséricorde contre les Orsini, à l’égard desquels il jugeait le duc trop bienveillant. « Il faut en finir sur-le-champ avec toute cette maison, prendre tous ceux que nous pourrons et n’épargner ni les femmes ni les petits enfans, » et cela parce qu’ils étaient tous traîtres aux Borgia, à l’église et au roi de France. Alexandre mentait, en traçant ces lignes, à sa propre conscience. Il se souciait fort peu des trahisons contre l’église ou le roi très chrétien; il pouvait, en laissant aller des innocens, venger encore avec éclat la dynastie pontificale. Mais il craignait qu’un jour quelque rejeton de cette maison ne se levât contre ses fils. « Monsieur l’ambassadeur, disait-il à Giustinian, nous avons les mains rouges du sang des Orsini, le duc a coupé la tête à Paolo et aux autres que vous savez; nous avons été si loin contre eux, qu’il faut nous assurer de tous pour qu’ils ne nous fassent point de mal. » Et puis, tuer tout, femmes et enfans, c’était détruire jusqu’à la racine la plus riche famille des états de l’église, prendre tous les fiefs, tous les palais, tout l’or des Orsini. A mesure qu’il vieillissait, une effroyable avarice grandissait en lui. Il ne songeait qu’à hériter, qu’à dépouiller les vivans et les morts. En mai 1503, il reçut 130,000 ducats des nouveaux cardinaux. Mais vendre des chapeaux rouges, des indulgences, des dispenses, des bénéfices, quêter pour la guerre contre le Grand-Turc, c’étaient de bien vieux moyens; il imagina un tarif d’exactions sur les cardinaux, les prélats, tous les fonctionnaires de la curie et les instituts de charité. Chacun payait 10 pour 100 de son revenu, et Burchard nous a conservé ce curieux tableau. Le cardinal Ascanio Sforza, le plus riche, était taxé à 3,000 ducats par an, les sous-diacres de sa sacristie, l’un dans l’autre, à 4 ducats. Le cardinal Corner, « qui n’avait point de revenus, » ne payait rien. L’hôpital de Saint-Gérôme était marqué pour 2 ducats. L’addition, que Burchard a négligé de faire, donne 45,836 ducats. Chaque clerc était pareillement astreint à la dîme, chaque juif au vingtième de son revenu. La luxure de l’or tourmentait Alexandre. Il finit par calculer la fortune mobilière et l’argent comptant de ses cardinaux; de temps en temps, il en envoyait un dans l’autre monde et s’inscrivait comme héritier des biens meubles du défunt. Le 11 juillet 1502, Giustinian écrit : «Le cardinal de Modène est malade, avec peu d’espoir de guérison ; on croit au poison. » Le 12 : « Le révérendissime cardinal de Modène va mieux; mais les médecins jugent la situation très grave. Si Dieu exauçait les prières de toute la ville, il ne se relèverait point. » Ferrari était, en effet, dataire et trésorier apostolique, et avait longuement pillé Rome. Le 19, il se trouvait au plus bas, et « la pleine lune devait l’emporter