Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la prison de Torre-di-Nona, et, après lui, le protonotaire Orsini, Jacomo de Santa-Croce, Antonio de Santa-Croce, archevêque de Florence, Bernardino, abbé d’Alviano, et Carlo Orsini. Jacomo, « qui a conduit le cardinal à la boucherie, » écrit Giustinian, racheta le lendemain sa liberté. Le 4 janvier, le gouverneur déménégeait, pour le pape et pour son propre compte, l’appartement du cardinal et celui de l’archevêque. « Ils ont tout pris, jusqu’à la paille des écuries, « dit Giustinian. Le même jour, Alexandre fit part de l’événement à l’orateur vénitien. « Il me dit : le cardinal est servi par ses propres domestiques. Nous ne savons ce qu’il adviendra. Si nous le trouvons en faute, nous userons plutôt de clémence, comme c’est notre office, que de cruauté. Et, continue Giustinian, il par la ensuite de telle sorte qu’évidemment il veut le faire mourir; mais je crois, d’après ces paroles mêmes, qu’il attendra pour cela la venue du duc, afin de se décharger sur celui-ci de cette opération. Le duc fera d’abord mourir l’abbé d’Alviano, après lui avoir arraché une accusation contre le cardinal. » Le 5 janvier, l’ambassadeur écrit : « La mère du cardinal a été chassée de sa maison, avec ce qu’elle portait sur le corps, accompagnée de quelques jeunes servantes; les malheureuses errent dans Rome, où personne ne veut les recevoir, car tous ont peur. Le cardinal a été conduit au Saint-Ange; certainement, de l’avis de tous, il est destiné à mourir. On croit que la fête est déjà faite pour l’abbé d’Alviano. Le seigneur Giulio Orsini a pu s’enfuir, avec ce qu’il a pris en croupe de son cheval, dans les états de Gian Giordano, emmenant sa femme, son fils et les jeunes enfans de Paolo Orsini. « Le jour même, « le cardinal se confessa et s’arrangea avec Dieu, car il attendait la mort d’une heure à l’autre. » Mais la mort fut lente à s’asseoir à son chevet. A la fin de janvier, la mère du prisonnier fit tenir au pape, par l’intermédiaire de la maîtresse de son fils, qui se rendit au Vatican déguisée en page, 2,000 ducats et une perle précieuse qu’Alexandre réclamait. Il fut permis, à ce prix, aux deux femmes, de préparer les alimens du cardinal. Mais la faveur était bien tardive, selon Burchard, qui écrit, avec un laconisme saisissant, biberat calicem ; il avait bu le calice. C’était le poison lent, le venenum atlerminatum de la Renaissance. Le cardinal Orsini mourut le 22 février. Burchard fut chargé de veiller aux funérailles. Mais, écrit le prudent chapelain, « ne voulant pas en savoir plus qu’il ne fallait, je n’y allai point et ne m’en occupai d’aucune façon. » Le 14, Alexandre convoquait les médecins qui avaient assisté le moribond, et leur imposait de jurer que cette mort était la plus naturelle du monde, de déterminer la maladie et d’en signer le procès-verbal.