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de Saint-Pierre, quatre hommes masqués, armés de poignards, l’assaillirent et, sous le balcon de la bénédiction papale, le blessèrent grièvement à la tête, à la gorge, à l’épaule et au bras. Les assassins se replièrent, selon Burchard, sur une troupe de quarante cavaliers qui les attendait dans l’ombre, et tous se sauvèrent à bride abattue hors de Rome. Alphonse, tout sanglant, put se traîner jusqu’au Vatican. Polo Capello écrit : « Il dit au pape: Je suis blessé; et Mme Lucrèce, sa femme, qui était dans la chambre du saint-père, s’évanouit. » — « On ne dit pas, écrit l’ambassadeur florentin, qui sont les meurtriers, et l’on ne voit pas qu’on les recherche avec le zèle qui conviendrait. Mais le bruit court dans Rome que c’est encore un crime de famille, car, dans ce palais, il y a tant de haines anciennes et récentes, tant de jalousies politiques et autres, qu’il est nécessaire que de pareils scandales éclatent souvent. Ainsi, chaque jour, le pape a de nouveaux sujets d’amertume et d’affliction qui lui donnent beaucoup à penser. » — « L’assassin, dit Capello, est le même qui a tué le duc de Gandia et l’a jeté au Tibre. » — « Je n’ai pas tué le duc, disait César dans les jours qui suivirent; mais si je l’avais fait, il l’aurait bien mérité. » Le cardinal de Capoue vint confesser le jeune prince, qui fut soigné, pendant trente-quatre jours, sous les yeux du pape, par Lucrèce et par sa sœur Sancia. Les deux femmes préparaient elles-mêmes les alimens, « à cause de la haine que lui portait le Valentinois, » écrit Capello. « Le pape, ajoute l’orateur vénitien, le faisait garder par seize personnes, de crainte que le duc ne le tuât.» Et quand le pape visitait le blessé, le duc ne l’accompagnait point, sinon une fois, où il dit : « Ce qui ne s’est point fait au dîner se fera au souper. » Le 18 août. César entra dans la chambre d’Alphonse, qui se levait déjà ; il chassa d’un geste la femme et la sœur du malheureux ; puis don Micheletto parut, jeta le duc de Bisceglie sur son lit et l’étrangla en présence de César. Le soir même, on porta furtivement, sans prières et sans prêtres, l’enfant royal de Naples dans la chapelle funéraire de Saint-Pierre. Alexandre, qui n’avait pu sauver la vie d’Alphonse, n’osa point lui accorder les honneurs qu’on avait prodigués, trois ans plus tôt, à son fils aîné. On feignit, comme on avait fait pour le duc de Gandia, de rechercher les assassins. On expédia au Saint-Ange les médecins de la victime et un pauvre bossu, son valet de chambre; on les interrogea, puis on les renvoya, leur innocence étant évidente, « ce que savaient très bien, dit Burchard, ceux qui les avaient fait arrêter. » Lucrèce se retira, soit de son plein gré, soit par l’ordre de son père, dans son château de Nepi, avec une escorte de six cents cavaliers, afin, écrit le scribe pontifical, « de prendre quelque consolation ou distraction à la douleur et au trouble