Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’univers par ce qu’il y a de plus radical dans la conscience, et la conscience par ce qu’il y a de plus général dans l’univers? Une telle application des deux grandes sciences l’une à l’autre est le seul moyen d’atteindre à une vue d’ensemble sur la réalité.

Nous pouvons donc répondre aux positivistes qui accusent les philosophes de travailler sur des «abstractions » ou sur des « idées : » — Votre monde des sciences objectives, lui aussi, lui surtout, est un monde abstrait, essentiellement et nécessairement abstrait ; — et cela parce qu’il exclut, en le traitant de « subjectif, » tout élément de conscience, toute sensation comme telle, tout sentiment d’existence, toute action, tout ce que nous appelons vivre, sentir, désirer, agir, en un mot tout ce qui constitue la réalité pour elle-même, la présence immédiate de la réalité à soi. Que nous montrent vos sciences objectives? Elles nous apprennent dans quel ordre constant s’accompagnent ou se suivent tels et tels phénomènes donnés, quelles que soient en nous les sensations qui nous les révèlent, quelles que soient en dehors de nous les actions qui les produisent. La science positive a donc pour objet les lois, non les choses, la vérité, non la réalité, les formes constantes et les cadres de notre expérience, non le contenu vivant et intuitif de l’expérience même, non le sentiment intime de l’être et de l’action. La science, même psychologique, ne se soucie point de la sensation comme telle, mais seulement des rapports de nos sensations ; si un homme voit rouge ce qu’un autre voit bleu, qu’importe au savant, pourvu que tous les rapports des sensations restent les mêmes? La science ne se soucie pas davantage des phénomènes comme tels, puisque ce qu’il y a de spécifique en leur contenu se réduit à nos sensations. Elle range les phénomènes dans l’espace et dans le temps; elle les compte, elle les pèse, elle les nomme : elle ne les regarde jamais en eux-mêmes. Sa méthode est tout extérieure ; ses objets sont comme des miroirs à facettes brillantes qui se renvoient la lumière de l’un à l’autre, à l’infini; cette lumière, toujours réfléchie par des surfaces impénétrables, ne transperce rien d’un rayon direct : tout brille au dehors, tout reste obscur au dedans.

Dès lors, c’est à la science positive que convient proprement la qualification attribuée à la métaphysique par M. Berthelot ; la qualification de « science idéale, » puisqu’elle ne roule que sur des rapports indépendamment des termes, — rapports certains et vrais, assurément, mais par cela même logiques et idéaux.

Ce n’est pas tout. La vérité de la science est, plus encore peut-être que celle de la métaphysique, d’une nature toute relative et symbolique, puisqu’elle est simplement représentative d’objets qui demeurent inconnus. La science, comme l’a montré M. Spencer, est une série de symboles ordonnés d’une manière symétrique avec la