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pas l’école de leur village, c’est que leurs familles ne s’en souciaient pas. Plus on étudiera l’histoire de l’instruction publique, plus on verra que ce ne sont pas les maîtres qui ont manqué aux élèves, mais plutôt les élèves qui manquaient aux maîtres. Les générations d’il y a cinquante ans ne souffraient nullement de leur ignorance ; les contemporains, au contraire, tiennent universellement à l’instruction. C’est même et seulement parce qu’ils y tiennent que le parlement a pu décréter impunément l’instruction obligatoire. Si elle n’avait pas eu à enfoncer une porte ouverte, on aurait vu le piteux effet de la loi; bien plus, les députés n’auraient jamais osé voter l’obligation, s’ils n’avaient vu déjà sur les bancs la presque unanimité des futurs électeurs.

Au fond, et de quelque nom qu’on le décore, le système gouvernemental qui a enfanté l’instruction gratuite et obligatoire est le pur socialisme d’état. L’instruction est un bien, c’est l’ornement de l’esprit, mais le pain aussi est un bien; et si on donne l’un gratis, il n’y a pas de raison pour ne pas donner l’autre. Il n’est pas plus équitable de donner l’instruction, qui après tout n’est qu’un bien moral, que de donner les biens matériels, — vêtement, logement, nourriture, soins médicaux, — gratuitement, à ceux qui en manquent. Dire que la société doit l’école primaire gratuite à toutes les intelligences est un paradoxe égal, sinon supérieur, à celui qui consisterait à dire qu’elle doit le potage gratuit à tous les estomacs. Il ne suffit pas qu’une chose soit reconnue bonne, excellente même, par le corps social, pour que ledit corps social la mette gratis à la portée de tous ses membres, encore moins pour qu’il leur en impose l’usage. Décréter l’instruction obligatoire, c’est comme si on décrétait la propreté obligatoire, la gymnastique obligatoire, ainsi qu’à Sparte; car il n’est pas moins utile à l’état d’avoir des citoyens agiles et forts que des citoyens instruits. Une fois entré dans une voie semblable, il n’y aurait plus de raison pour s’arrêter. On signale du reste une immense disproportion entre les dépenses faites pour l’instruction primaire et les résultats obtenus. En 1874, nous avions Ix millions d’élèves. Nous en avons 4,600, 000 en 1887. Mais avec nos 4 millions d’élèves nous faisions 16 millions de dépenses, tandis qu’aujourd’hui les 600,000 élèves de plus exigent 64 millions de supplément (80 millions au lieu de 16). Et l’on peut se demander si le progrès naturel et constant du nombre des élèves, chaque année, avant la loi de 1876, n’aurait pas donné une grande partie de ces 600,000 nouveaux. N’importe! il demeure acquis que, pour l’enfant de 1874, la nation dépensait 4 francs par an, et que, pour l’élève nouvellement recruté, elle en dépense 106. Et pendant que, de 1876 à 1887, le nombre des élèves augmentait de 14 pour 100