Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien dépenser ; on a jeté l’argent national par toutes les fenêtres, on a même percé de nouvelles fenêtres pour y jeter encore un peu d’argent. Toutefois, l’extension du fonctionnarisme, la moins justifiée de toutes les dépenses, ne remonte pas à plus de dix ans.

L’assemblée nationale avait bien géré ; la dette avait passé de 600 à 1,200 millions, les budgets de l’armée et de la marine de 640 à 680 ; mais, on économisait une quarantaine de millions sur les traitement des hauts fonctionnaires, de la diplomatie, du chef de l’état, et l’on consacrait 200 millions par an à l’amortissement. Depuis 1876, au contraire, il semble qu’un goût d’émulation, de surenchère, se soit emparé de ceux à qui nos intérêts sont confiés; c’est à qui se montrera le plus grand seigneur dans la profusion de serviteurs que l’on donne à la nation. Un fils de famille qui agirait comme les représentans du peuple français eût été déjà doté d’un conseil judiciaire; mais, l’exagération des dépenses satisfaisant d’abord beaucoup plus d’électeurs qu’elle n’en irrite, il fallut de longues années pour que l’on s’aperçut qu’il était impossible de « demander plus au budget et moins au contribuable, » selon le mot plaisant de M. Germain.

Le total des traitemens civils sujets à retenue, qui était en 1852 de 153 millions, et en 1870 de 253 millions, s’élevait à 279 millions en 1876. Il monte à présent à 400 millions, auxquels s’ajoutent 100 millions de solde des officiers. Les pensions de retraite, — appointemens des fonctionnaires hors de service, — qui étaient en 1869 de 78 millions, et en 1875 de 100 millions, conséquence de la guerre, s’élèvent en 1888 à 200 millions, conséquence de la gestion de nos mandataires. Tantôt on a, par une prodigalité fort peu méritoire, augmenté le taux de ces pensions ; la chambre a trouvé tout naturel qu’un pharmacien militaire inspecteur reçût bien plus que le premier président de la cour de cassation, et que le vétérinaire de 2e classe fût doté de retraites plus fortes que l’ingénieur en chef ou le président de cour d’appel ; tantôt les ministres et les députés ont multiplié sans mesure le nombre des retraités, par les renvois anticipés d’agens antipathiques à leurs personnes. Ministre des finances, M. Léon Say déclarait, il y a cinq ans, qu’il fallait avoir passé par les affaires pour se faire une idée du nombre de gens dont la révocation était demandée par ceux qui voulaient les remplacer. « Jamais, disait-il, l’abus des recommandations n’a été poussé aussi loin que depuis quelques années; cela ressemble à l’ancien régime. » Et, vers la même époque, M. Barthélémy Saint-Hilaire, ministre des affaires étrangères, se plaignait, dans une circulaire officielle, aux agens placés sous ses ordres, de ce que « l’administration publique fût gênée dans toutes ses branches