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arrivé récemment à Berlin pour enlever sa loi sur l’extension des forces de l’Allemagne et sur le nouvel emprunt militaire.

Le chancelier n’a pas tardé, en effet, à rentrer en scène : il a commencé, comme il le fait souvent, par un coup de théâtre, par une divulgation inattendue. Il a brusquement mis au jour un traité d’alliance entre l’Allemagne et l’Autriche, qui date du mois d’octobre 1879, qui, sous les apparences les plus pacifiques, est déjà dirigé tout entier contre la Russie, ou du moins particulièrement contre la Russie. Par lui-même, sans doute, ce traité n’a point été absolument une surprise ; il n’était un secret ni pour l’Europe ni surtout pour le cabinet de Saint-Pétersbourg. On a pu seulement se demander et on s’est effectivement demandé, pourquoi M. de Bismarck a cru devoir choisir ce moment pour faire sa publication, quel rapport il y avait entre cette indiscrétion calculée et la situation présente des choses à la frontière de Pologne. Était-ce une démarche savamment concertée entre Berlin et Vienne pour répondre aux armemens russes ? A-t-on cru que ce serait la manière la moins blessante d’avertir le tsar du danger de trop prononcer ses mouvemens militaires ou de s’engager dans de nouvelles combinaisons de diplomatie ? Mais ce n’est pas le seul mystère. Depuis ce traité remis au jour, d’autres circonstances se sont produites. Il y a eu, au moins pour quelques années, un rapprochement intime entre Berlin, Pétersbourg et Vienne ; il y a eu ce qu’on a appelé l’alliance des trois empereurs, les entrevues retentissantes de Skierniewice, de Kremsier. Le traité de 1879 subsistait-il toujours pendant que les trois empereurs se rencontraient avec les apparences d’une si cordiale intimité ou, si l’on veut, avec tant d’ostentation ? A-t-il été l’objet de négociations nouvelles qui l’ont fait revivre en le modifiant ou en le complétant ? De plus, M. de Bismarck ne l’a point caché, depuis que le tsar, « refroidi dans ses sentimens amicaux, » s’est retiré d’un accord plus fictif que réel pour reprendre sa liberté, il y a eu d’autres alliances, notamment avec l’Italie, qui a pris la place de la Russie. Quel est le caractère de ces alliances ? la publication qui vient de se produire à Berlin et à Vienne simultanément n’est-elle que le commencement d’une série de révélations instructives, le préliminaire de la publication de tous les autres traités ? C’est sur ces entrefaites, après avoir livré toutes ces énigmes à la curiosité passionnée du monde et avoir préparé son entrée, que le chancelier a paru au Reichstag, moins pour enlever le vote du parlement allemand sur des mesures militaires acceptées d’avance que pour porter son témoignage sur les affaires de l’Europe. Il s’est expliqué, et, après avoir recueilli cette parole à la fois hautaine et familière, qui, en paraissant tout dire, a toujours de si subtiles réticences, on s’est peut-être pas beaucoup plus avancé ; on est réduit à se demander encore : Est-ce la guerre prochaine, est-ce la paix pour quelque temps ?