Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des choses, et que les intérêts publics, les règles les plus simples d’administration, les conditions les plus essentielles de gouvernement restent sans garanties. Le trouble est dans les lois comme dans les pouvoirs, l’instabilité et l’impuissance sont dans les assemblées comme dans les ministères. Tout est livré à la médiocrité envahissante et dissolvante, aux petites tyrannies mobiles et agitatrices de l’esprit de parti. C’est un danger redoutable assurément dans les affaires intérieures, administratives, économiques, financières d’une nation comme la France ; le mal de la mobilité et de la confusion est bien plus grave encore dans tout ce qui touche à la défense du pays, à l’organisation de sa puissance militaire, à la direction de ses affaires extérieures, dans l’administration de ces intérêts supérieurs où il faut avant tout l’esprit d’ordre, de prévoyance et de suite. On le sent si bien que, récemment encore, des députés des camps les plus opposés, républicains ou conservateurs, ont proposé d’instituer une sorte d’inamovibilité pour les ministres de la guerre, de la marine et des affaires étrangères. C’est une idée qui n’est pas absolument nouvelle ; elle s’est reproduite plus d’une fois, sans prendre jusqu’ici une forme précise. Elle a toujours été plutôt un instinct, un désir renaissant ; toutes les fois qu’on a plus vivement ressenti les dangers de l’instabilité dans la direction des plus grands intérêts français. Elle soulèverait évidemment plus d’une question délicate avec un régime qui a la prétention d’être parlementaire, et qui l’est souvent avec excès. Elle impliquerait une certaine abdication volontaire de la part des assemblées, et pour les ministres choisis, avec une responsabilité des plus sérieuses, une certaine liberté, une certaine indépendance, dans les affaires de la diplomatie et de l’armée. Il faudrait, dans tous les cas, commencer par trouver les homme ? faits pour conquérir par leurs services ce privilège de l’inamovibilité, résolus à rester dans leur rôle, — et, ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ceux qui ont pu paraître réaliser plus ou moins cette idée d’un ministre inamovible sont les premiers à vouloir se rejeter dans la mêlée des partis. C’est bien en vérité ce qu’on peut appeler le travers de M. le ministre des affaires étrangères Flourens, qui, on ne sait par quelle fantaisie, court aujourd’hui les chemins neigeux des Hautes-Alpes à la recherche d’un titre de député.

C’est l’heureuse chance de M. Flourens d’avoir été à son début le ministre des affaires étrangères le plus inattendu et de s’être fait bientôt sans bruit, sans éclat, une position des plus sérieuses. Depuis un an qu’il est arrivé à l’improviste à la direction de notre diplomatie, il a eu le temps et l’occasion de donner la mesure de ses talens. Il a vu se succéder sur les frontières des Vosges des incidens pénibles, qui auraient pu s’envenimer et mettre la paix en péril. Il a eu à conduire des négociations délicates, à traiter avec toutes les puissances.